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de créer, elle copie. Des soixante-dix-huit poètes cités par Einarsen, la plupart n’ont fait que rimer des anciennes sagas. D’autres traduisent en vers des chapitres de la Bible. Tous chantent obscurément sous l’humble toit qui les abrite. Un seul s’est acquis quelque célébrité. C’est Halgrim Petersson, l’auteur d’un recueil de psaumes que l’on trouve aujourd’hui dans toutes les familles d’Islande. Mais vers la fin du siècle dernier, cette poésie timide et défiante s’enhardit et parle un langage plus élevé. Un sysselmand de Reykiavik écrit plusieurs poèmes remarquables, et une comédie qui n’a pas encore été imprimée, mais qui est fort vantée de tous ceux qui la connaissent. Un pauvre prêtre traduit, dans sa solitude, Pope, Milton, Klopstock. Un homme déjà renommé pour sa science de naturaliste, Eggert Olafssen, l’auteur d’un voyage intéressant en Islande, composa un recueil de vers que tout le monde lirait avec charme. Sa poésie est tendre et rêveuse. Elle a tout à la fois le caractère de l’idylle et de l’élégie, et elle est simple et vraie. C’est un homme des champs qui s’est plu à célébrer son enclos de verdure, ses montagnes d’Islande, ses lacs limpides. C’est un père de famille qui a redit d’une voix émue et touchante ses joies d’intérieur et ses rêves d’amour. Il avait un frère qui était poète aussi et qui a laissé quelques chansons. Mais celui-ci est gai et frivole ; il chante à tout propos, et sa chanson a la forme riante et coquette. Il amuse, mais son frère intéresse.

La société littéraire de Reykiavik a publié les œuvres de ces deux poètes, et celles de Grœndal ; il serait à souhaiter qu’elle pût continuer ses collections.

Il n’y a point de poésie populaire en Islande, dans le sens que nous attachons à ce mot, et il ne peut pas y en avoir dans un pays où les habitans vivent isolés l’un de l’autre, où l’on ne voit pas, comme en Allemagne, de ces grandes réunions d’étudians, d’ouvriers qui se communiquent par le chant, la ballade de Schiller, ou les strophes patriotiques d’Uhland. D’ailleurs, les Islandais ont le caractère sérieux et triste. Ils ne chantent pas, mais ils lisent. Il n’y a point parmi eux de gondoliers de Venise, et point de Bursche. Mais le livre qu’ils aiment passe de maison en maison. On le lit à la veillée, on en parle en travaillant. Voilà sa popularité, et Béranger pourrait être leur poète populaire, sans qu’ils eussent jamais chanté un seul de ses vers.

Il est surtout un homme dont ils chérissent le nom, dont ils recherchent les œuvres avec empressement. Cet homme est M. Thorarensen, qui remplit aujourd’hui les fonctions de préfet dans le Nordland. C’est un vrai poète par la pensée, par la forme, un poète qui aime son pays et qui le chante avec enthousiasme. Je ne l’ai pas vu, mais j’ai été en correspondance avec lui, et ses lettres m’ont frappé par leur candeur et leur modestie. Ses