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LETTRES SUR L’ISLANDE.

Il y a des sources qui teignent les cheveux. Il y a une île où l’air a une telle force vitale que personne ne peut y tomber malade. Quand un homme a atteint l’âge qu’il présume que Dieu lui destinait, on l’emmène dans un autre pays, pour qu’il puisse mourir, car jamais dans cette île il ne pourrait mourir de maladie. Dans une autre île, quand les habitans meurent, on ne les enterre pas. On les porte près de l’église, et ils se promènent là tranquillement et causent avec les passans.

L’Islande est aussi une terre assez curieuse. On y trouve des baleines dont les naturalistes de nos jours ne soupçonnent guère l’existence, et il y avait autrefois une source qui devait singulièrement plaire aux Islandais. Cette source avait le goût de la bière. Mais si, par un esprit de convoitise trop grand, le buveur voulait aller bâtir sa cabane dans ce lieu privilégié, l’eau merveilleuse fuyait d’un autre côté ; et s’il voulait y remplir ses flacons pour les emporter, elle redevenait à l’instant comme l’eau ordinaire. Il fallait en user sobrement, et alors il n’y avait pas dans la demeure du jarl, dans le palais du roi, de boisson comparable à celle-là.

Le Miroir du Roi fut écrit vers le milieu du xiie siècle. Environ un siècle après, la littérature islandaise commençait à décliner. En 1264, la colonie d’émigrés se rejoint à la mère-patrie, l’Islande se réunit à la Norwége. Ses nouveaux rois lui conservent, il est vrai, ses lois, ses coutumes, mais ils lui imposent des gouverneurs qui ne ménagent ni sa dignité ni ses intérêts. De violentes contestations s’élèvent souvent entre les principaux habitans du pays et les envoyés de Norwége. Les évêques défendent leurs concitoyens, le peuple se plaint de la violation de ses droits, mais les préfets n’en continuent pas moins leurs injustices et leurs exactions. L’Islande, devenue province tributaire d’un autre royaume, semble avoir perdu l’énergie qui la distinguait quand elle était indépendante. Et puis le volcan plus cruel que tous les gouverneurs, plus terrible que tous les despotes, le volcan est là qui gronde et déchire la crête des montagnes, et vomit de toutes parts ses tourbillons de cendre et sa lave brûlante. Au volcan succèdent quelquefois des tremblemens de terre qui ébranlent l’île entière, et au xive siècle arrive la peste noire. Cette effroyable épidémie, qui avait fait le tour de l’Europe, enleva à l’Islande les deux tiers de ses habitans. À peine la pauvre île commençait-elle à se reposer de ses calamités, qu’une troupe farouche de corsaires anglais aborde sur la côte, pénètre dans l’intérieur du pays, brûle, pille tout ce qu’elle rencontre ; et soixante ans après, une nouvelle épidémie décima encore la population.

Après tant de fléaux, on ne peut guère s’attendre à voir le peuple occupé d’études. Aussi tout tombe dans l’oubli, travaux, histoire, science,