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LETTRES SUR L’ISLANDE.

connaissances réelles et d’idées fabuleuses. Par exemple, il croit sans hésiter à l’existence des cyclopes, des dragons, des basiliques et des syrènes comme il croit à celle d’Isleifr, premier prélat de Skalholt. Il raconte avec la plus charmante crédulité qu’il y a bien sûr des pays où les hommes n’ont pas de tête et portent le nez et les yeux dans la poitrine. D’autres ont une tête de chien et aboient quand ils veulent parler. D’autres viennent au monde sans bouche, et ne vivent que du parfum des fleurs et de l’arome des plantes. Il y a quatre grands fleuves qui découlent du paradis : le Gange, le Nil, le Tigre et l’Euphrate, et les voyageurs ont trouvé en Grèce un fleuve qui teint en blanc les moutons qui viennent s’y abreuver, et un autre qui les teint en noir. On a découvert aussi en Phrygie, un lac où les pierres croissent comme des arbres, et beaucoup d’autres choses merveilleuses qu’on ne croirait pas, dit le naïf conteur, si elles n’étaient attestées par les philosophes.

Tout ce livre est ainsi fait de morceaux disjoints ; c’est en certaines parties un récit fort monotone, et dans d’autres une mosaïque curieuse de préjugés populaires, de croyances superstitieuses. Sous ce rapport, il mérite d’être lu par tous ceux qui veulent se faire une idée complète des connaissances cosmographiques du moyen-âge. Du reste, il est devenu rare, et ce n’est pas sans peine que j’ai pu en acquérir un exemplaire[1].

Le Miroir du Roi ressemble beaucoup par sa forme au castoiement d’un père à son fils, et à tous les livres du même genre. Il renferme deux grandes dissertations sur le commerce, sur la cour. Il devait y en avoir deux autres sur les prêtres et les laboureurs. L’auteur aurait ainsi embrassé les quatre classes de la société. On ignore s’il a accompli son œuvre. Dans tous les cas, les deux premières parties seulement nous ont été conservées. Ce livre fut écrit par le ministre d’un roi de Norwége pour l’instruction d’un prince, et je ne sache pas d’ouvrage qui puisse donner une idée plus étendue et plus nette de l’état du nord au moyen-âge. Ce ministre est un homme fin et habile, homme du monde, homme de cour, façonné à tous les usages de son époque ; fort instruit en beaucoup de choses, et, du reste, crédule comme les hommes de son temps. Si vous voyiez comme il apprend à son élève le moyen d’être marchand, comme il lui recommande d’agir avec prudence, de ne pas se lier trop vite avec ceux qui viennent à lui, de ne pas placer dans la même entreprise tout ce qu’il possède, de peur de perdre tout à la fois ; comme il lui indique bien le secret de vendre à propos, et la nécessité de ménager ses ressources. On croirait entendre un vieux marchand de province confiant, d’une main tremblante, la gestion de ses affaires à son fils, et lui déroulant patiemment toutes les ruses de son métier.

  1. Rymbegla, sive rudimentum computi ecclesiastici, 1 vol. in-4o. Copenhague, 1780.