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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

veloppaient, et hasarder les pas les plus gracieux au milieu de la chambre en faisant sauter son bonnet au plafond, et en éternuant pendant vingt minutes. Comment ne vous bénirais-je pas, mon cher maître, qui m’avez guéri tant de fois mieux qu’un médecin, car ce fut sans me faire souffrir, et sans me demander de l’argent ; et comment croirais-je que la musique est un art de pur agrément et de simple spéculation, quand je me souviens d’avoir été plus touché de ses effets, et plus convaincu par son éloquence que par tous mes livres de philosophie ?

Pour en revenir à l’apparition des Huguenots, je vous confesse que je n’attendais pas une œuvre si intelligente et si forte, et que je me fusse contenté de moins. Je ne pressentais pas tout le parti que vous pouviez et que vous deviez tirer du sujet, c’est-à-dire de l’idée du sujet, car quel sujet vous eût embarrassé après le poème apocalyptique de Robert ? Néanmoins, j’avais tant aimé Robert, que je ne me flattais pas d’aimer davantage votre nouvel œuvre. J’allai donc voir les Huguenots avec une sorte de tristesse et d’inquiétude, non pour vous, mais pour moi ; je savais que, quels que fussent et le poème et le sujet, vous trouveriez dans votre science d’instrumentation et dans votre habileté, des ressources ingénieuses et les moyens de gouverner le public, de mater les récalcitrans, et d’endormir les cerbères de la critique, en leur jetant tous vos gâteaux dorés, tous vos grands effets d’orchestre, toutes les richesses d’harmonie dont vous possédez les mines inépuisables. Je n’étais pas en peine de votre succès, je savais que les hommes comme vous imposent tout ce qu’ils veulent, et que, quand l’inspiration leur échappe, la science y supplée. Mais pour les poètes, pour ces êtres incomplets et maladifs qui ne savent rien, qui étudient bien peu de choses, mais qui pressentent et devinent presque tout, il est difficile de les tromper, et de l’autel où le feu sacré n’est pas descendu, nulle chaleur n’émane. Quelle fut ma joie quand je me sentis ému et touché par cette histoire palpitante, par ces caractères vrais et sans allégories, autant que j’avais été troublé et agité par les luttes symboliques de Robert. — Je n’eus ni le loisir ni le sang-froid d’examiner le poème. J’ai un peu ri du style en le lisant plus tard, mais je comprends la difficulté d’écrire pour le chant, et d’ailleurs je sais le meilleur gré du monde à M. Scribe (si toutefois ce n’est pas vous qui lui