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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

sont ni exactes ni minutieuses, mais qui n’en sont que plus vaguement et plus délicieusement poétiques. Plus exquise et plus vaste que les plus beaux paysages en peinture, la symphonie pastorale de Beethoven n’ouvre-t-elle pas à l’imagination des perspectives enchantées, toute une vallée de l’Engaddine, ou de la Misnie, tout un paradis terrestre où l’ame s’envole, laissant derrière elle et voyant sans cesse s’ouvrir à son approche des horizons sans limites, des tableaux où l’orage gronde, où l’oiseau chante, où la tempête naît, éclate et s’apaise, où le soleil boit la pluie sur les feuilles, où l’alouette secoue ses ailes humides, où le cœur froissé se répand, où la poitrine oppressée se dilate, où l’esprit et le corps se raniment, et, s’identifiant avec la nature, retombent dans un repos délicieux.

Quand les bruits désordonnés du Pré aux Clercs s’effacent dans le lointain, et que le couvre-feu fait entendre sa phrase mélancolique, traînante comme l’heure, mourante comme la clarté du jour, est-il besoin de la toile peinte en rouge de l’Opéra, et de l’escamotage adroit de six quinquets, pour que l’esprit se représente l’horizon embrasé qui pâlit peu à peu, les bruits de la ville qui expirent, le sommeil qui déploie ses ailes grises dans le crépuscule, le murmure de la Seine qui reprend son empire à mesure que les chants et les cris humains s’éloignent et se perdent ? — À ce moment de la représentation, j’aime à fermer les yeux, à mettre ma tête dans mes mains, et à voir un ciel beaucoup plus chaud, une cité colorée de teintes beaucoup plus vraies, n’en déplaise à M. Duponchel, que sa belle décoration et le jeu habile de sa lumière décroissante. Que de fois j’ai juré contre le lever du soleil qui accompagne le dernier chœur du second acte de Guillaume Tell ! Ô toile ! ô carton ! ô oripeaux ! ô machines ! qu’avez-vous de commun avec cette magnifique prière où tous les rayons du soleil s’étalent majestueusement, grandissent, flamboient ; où le roi du jour apparaît lui-même dans sa splendeur, et semble faire éclater les cimes neigeuses pour sortir de l’horizon à la dernière note du chant sacré ? Mais la musique a, sous ce rapport, une puissance bien plus grande encore. Il n’est pas besoin d’une mélodie complète ; il ne faut que des modulations pour faire passer des nuées sombres sur la face d’Hélios, et pour balayer l’azur du ciel, pour soulever le volcan, et faire rugir les cyclopes au sein de