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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

celui-ci ne tirait pas tout le parti possible de la machine. Il cherchait platement les sons les plus purs et ne nous régalait pas du plus petit coup de tonnerre. Aussi l’organiste de la cathédrale, gros jeune homme à la joue vermeille, confrère familier et quasi protecteur de notre ami, le poussait doucement à chaque instant, et prenant sans façon sa place, essayait, à force de bras, de nous faire comprendre la puissance vraiment grande, je le confesse, du charlatanisme musical. Il fit tant des pieds et des mains, et du coude, et du poignet, et je crois, des genoux (le tout de l’air le plus flegmatique et le plus bénévole), que nous eûmes un orage complet, pluie, vent, grêle, cris lointains, chiens en détresse, prière du voyageur, désastre dans le chalet, piaulement d’enfans épouvantés, clochette de vaches perdues, fracas de la foudre, craquement des sapins, finale, dévastation des pommes de terre.

Quant à moi, naïf paysan, artiste ou plutôt artisan grossier, enthousiasmé de ce vacarme harmonieux, et retrouvant, dans cette peinture à gros effets, les scènes rustiques de ma vie, je m’approchai du maestro fribourgeois et je m’écriai avec effusion :

— Monsieur, cela est magnifique ; je vous supplie de me faire encore entendre ce coup de tonnerre, mais je crois qu’en vous asseyant brusquement sur le clavier, vous produiriez un effet plus complet encore.

Le maestro me regarda avec étonnement, il n’entendait pas un mot de français, et, à mon grand déplaisir, mes amis ne voulurent jamais lui traduire ma requête en allemand, sous prétexte qu’elle était inconvenante. Il me fallut donc renoncer une fois de plus dans ma vie à compléter mon émotion.

Cependant le vieux Mooser était resté impassible pendant l’orage. Planté dans son coin comme une statue roide et anguleuse du moyen-âge, c’est à peine si au plus fort de la tempête un imperceptible sourire de satisfaction avait effleuré ses lèvres. Il est vrai, qu’à l’exception de moi, toute la famille avait été brutalement insensible à la pluie, au tonnerre, à la clochette, aux vaches perdues, etc. Je croyais même que cette inappréciation de la force pulmonaire de son instrument l’avait profondément blessé ; mais le syndic vint nous apprendre la cause de sa préoccupation. Mooser n’est pas content de son œuvre, et il a grand tort, je le jure, car s’il n’a pas encore atteint la perfection, il a fait du