Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/442

Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
REVUE DES DEUX MONDES.

Le nom lui en est resté, et il est bien plus expressif qu’il n’est permis à ma plume de le tracer.

Fribourg.

Nous entrâmes dans l’église de Saint-Nicolas pour entendre le plus bel orgue qui ait été fait jusqu’ici. Arabella, habituée aux sublimes réalisations, ame immense, insatiable, impérieuse envers Dieu et les hommes, s’assit fièrement sur le bord de la balustrade, et promenant sur la nef inférieure son regard mélancoliquement contempteur, attendit et attendit en vain ces voix célestes qui vibrent dans son sein, mais que nulle voix humaine, nul instrument sorti de nos mains mortelles ne peut faire résonner à son oreille. Ses grands cheveux, blonds déroulés par la pluie, tombaient sur sa main blanche, et son œil où l’azur des cieux réfléchit sa plus belle nuance, interrogeait la puissance de la créature dans chaque son émané du vaste instrument. « Ce n’est pas ce que j’attendais, » me dit-elle d’un air simple et sans songer à l’ambition de sa parole. — Exigeante, lui dis-je, tu n’as pas trouvé le glacier assez blanc, l’autre jour sur la montagne ! Ses grandes crêtes qui semblaient taillées dans les flancs de Paros, ses dents aiguës au pied desquelles nous étions comme des nains, ne t’ont pas semblé dignes de ton regard superbe. La voix des torrens est, selon toi, sourde et monotone, la hauteur des sapins ne t’étonne pas plus que celle des joncs du rivage ; tu mesures le ciel et la terre ; tu demandes les palmiers de l’Arabie-Heureuse sur la croupe du Mont-Blanc, et les crocodiles du Nil dans l’écume du Reichenbach ; tu voudrais voir voguer les flottes de Cléopâtre sur les ondes immobiles de la Mer de glace. De quelle étoile nous es-tu donc venue, toi qui méprises le monde que nous habitons ? Tu veux maintenant que ce vieillard refrogné qui te regarde avec stupeur, ait trouvé sous sa perruque un peu plus que la puissance de Dieu pour te satisfaire !

En effet, Mooser, le vieux luthier, le créateur du grand instrument, aussi mystérieux, aussi triste, aussi maussade que l’homme au chien noir et aux macarons d’Hoffmann, était debout à l’autre extrémité de la galerie, et nous regardait tour à tour d’un air sombre et méfiant. Homme spécial s’il en fut, Helvétien inébranlable, il semblait ne pas goûter le moins du monde le chant simple et sublime que notre grand artiste essayait sur l’orgue. À vrai dire,