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relle de famille ; que M. Fourrier entasse dans nos bibliothèques vingt volumes plus savans, plus bizarres et plus ingénieux les uns que les autres ; que des hommes de cœur et de tête se groupent partiellement, qu’ils usent leur ardeur et leur force à déclamer dans leurs salons, à lutter dans leurs journaux contre de vaines plaisanteries et de sottes attaques, c’est vraiment bien du temps et de la peine perdus ; et plus on estime ceux qui s’immolent à ce rôle d’Ixion, plus on doit déplorer l’emploi futile de facultés si grandes, de volontés si nobles ! C’est pour cela qu’à chaque instant du jour je me surprends à railler amèrement des hommes et des choses que je respecte et que je chéris.

— À la bonne heure, Piffoël, répondit Franz, censure ces choses en pliant le genou, et nomme ces hommes chapeau bas ; car que trouves-tu de meilleur dans le temps présent ?

— Je sens au fond de mon cœur, et tu sens au fond du tien, lui dis-je, la certitude et l’attente de choses meilleures que ce qu’ils ont osé dire, et il y a dans les cachots et ailleurs des hommes capables de faire ce que peu de réformistes oseraient conseiller.

— Ainsi n’outrons rien. Les systèmes sont tous bons à mettre au cabinet, et les hommes qui s’en occupent feraient mieux… Oh ! diable, voici le major fédéral qui a l’air d’écouter, je ne dirai plus rien.

Mais le major n’écoutait réellement pas. Il avait la tête penchée sur son livre, et, au milieu des plus belles scènes de la nature, il n’avait d’yeux et de pensée que pour un traité de philosophie de M. Barchou de Penhoën.

Je me permis de l’en railler.

— Taisez-vous, me dit-il, vous n’êtes qu’un marchand de cochons ; vous traversez la vie en regardant comment les objets sont colorés, découpés et arrangés en apparence ; vous ne savez et vous ne désirez savoir la cause de rien. Vous me faites l’effet, vis-à-vis de la nature, d’un cordonnier qui analyse le soulier depuis le cordon jusqu’à la semelle, mais qui ne se doutera jamais du jeu admirable des muscles du pied qu’il chausse et qu’il chaussera toujours, vil artisan et grossier manœuvre. Vous avez bien regardé les montagnes depuis Chamounix jusqu’ici, n’est-ce pas ? Vous avez compté les sapins, et vous pourriez tracer dans votre cerveau une ligne exacte des déchiquetures de la chaîne, comme