Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/420

Cette page a été validée par deux contributeurs.
416
REVUE DES DEUX MONDES.

grands n’est qu’un blasphème stupide. Rien ne le motive, et par conséquent, rien ne l’excuse…

Ô vous, que j’ai méconnus, et vers qui je m’incline en ce jour ! Ô commis-voyageurs ! je proteste que vous êtes fort ennuyeux, et que le bel esprit déborde en vous d’une manière désespérante. Mais je jure par Bacchus et par Noé, je jure par tous les vins bons et mauvais que vous débitez, que vous avez bien plus d’aménité, de politesse et de savoir-vivre, que les jeunes seigneurs de province. Je dépose, et je signerais de mon sang, que vous vous conduisez cent fois mieux dans les auberges, que vos manières sont excellentes au prix des leurs, et qu’il vaut mieux mille fois tomber en votre compagnie et supporter vos récits de table d’hôte, que de se trouver seulement à cinquante toises de la table des gens comme il faut. — Que la paix soit faite entre nous, et ne m’écrivez plus d’injures, ou tout au moins affranchissez vos lettres, s’il vous plaît.

Et toi, vieux ami des poètes ! généreux sang de la grappe ! toi, que le naïf Homère et le sombre Byron lui-même chantèrent dans leurs plus beaux vers, toi qui ranimas long-temps le génie dans le corps débile du maladif Hoffmann ! toi qui prolongeas la puissante vieillesse de Goëthe, et qui rendis souvent une force surhumaine à la verve épuisée des plus grands artistes ! pardonne si j’ai parlé des dangers de ton amour ! Plante sacrée, tu croîs au pied de l’Hymète, et tu communiques tes feux divins au poète fatigué, lorsqu’après s’être oublié dans la plaine, et voulant remonter vers les cimes augustes, il ne retrouve plus son ancienne vigueur. Alors tu coules dans ses veines et tu lui donnes une jeunesse magique ; tu ramènes sur ses paupières brûlantes un sommeil pur, et tu fais descendre tout l’Olympe à sa rencontre dans des rêves célestes. Que les sots te méprisent, que les fakirs du bon ton te proscrivent, que les femmes des patriciens détournent les yeux avec horreur en te voyant mouiller les lèvres de la divine Malibran. Elles ont raison de défendre à leurs amans de boire devant elles. Les imaginations de ces hommes-là sont trop souillées, leurs mémoires sont remplies de trop d’ordures, pour qu’il soit prudent de mettre à nu le fond de leur pensée. Mais viens, ô ruisseau de vie ! couler à flots abondans dans la coupe de mes amis ! Disciples du divin Platon, adorateurs du beau, ils détestent la vue