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avoir des détails semblables sur Annibal à la journée de Zama. Vers dix heures du matin, Napoléon mit pied à terre à gauche de la route, sur les hauteurs de Rossomme ; il était alors à un peu plus d’un quart de lieue en arrière de son front de bandière. Il dominait de là toute la topographie de la campagne ; ses yeux pouvaient facilement plonger dans les ravins de Braine-la-Leud et de la Haie-Sainte. Par malheur, le défilé sur la droite était moins visible ; il ne fut pas remarqué ; d’ailleurs, les bois de Lasnes et de Saint-Lambert, où s’amassait le danger, étaient encore silencieux. De cette éminence, l’empereur dicta l’ordre de bataille. Pendant quelque temps, il eut le spectacle de son armée rangée à ses pieds sur six lignes. Il put alors répéter avec raison : « Nous avons quatre-vingt-dix chances pour nous, et nous n’en avons pas dix contre. »

La seconde position qu’il occupa était près de la route, en avant de ses réserves, en face de la maison de son guide Descosse. Il était midi ; l’action était engagée. De ce mamelon, moins élevé que le précédent, il n’apercevait plus que les points culminans des terrains, les toits de la Haie-Sainte, et le verger d’Hougoumont, où était alors concentrée toute la bataille. C’est de ce même champ qu’il entrevit pour la première fois, du côté de Chapelle-Saint-Lambert, l’avant-garde des Prussiens : il y avait deux heures déjà que ces têtes de colonnes n’étaient plus qu’à une lieue de son flanc droit[1]. À travers le feuillage bronzé des taillis, on voit encore le clocher de Saint-Lambert se dessiner en blanc sur la colline, comme un fantôme qui fait un signe, à l’extrémité de l’horizon.

La troisième station de l’empereur, toujours en se rapprochant de l’ennemi, fut sur le plateau de la Belle-Alliance. Le toit rustique de cette ferme, pendant la dernière partie de la journée, servit de point de direction et de ralliement aux corps prussiens qui arrivaient de divers points de l’horizon. Encore une fois, Napoléon commandait de là à tout son champ de bataille ; il était au centre de sa double action, un peu plus près de la Haie-Sainte que de Planchenoit : il voyait également bien ses deux ailes ; les boulets anglais et prussiens se croisaient sur ce point, qui était le foyer de la courbe décrite par l’armée française.

  1. Voyez le recueil des pièces militaires de l’armée prussienne en 1815, par le lieutenant-colonel Plotho.