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avec leurs prédécesseurs, et possédés du désir de faire mieux qu’eux, ce qui en révolution veut dire faire autrement, choisis pour la plupart sous l’influence de la faction militaire et des sociétés maçonniques, arrivaient avec des dispositions qui rendaient la crise plus prochaine et l’invasion étrangère plus imminente. Le premier acte de l’assemblée fut de porter à la présidence l’homme, plus étourdi que coupable, qui avait laissé faire du nom d’un soldat un symbole de désordre ; le second fut de valider l’élection du magistrat que les précédentes cortès avaient mis en cause comme le principal auteur des évènemens de Séville[1]. Le congrès, tout entier aux émotions du temps, aborda rarement les questions d’intérêt positif, et les résolut presque toujours dans un esprit étroit et passionné.

Ce fut ainsi qu’on le vit, presque au début de la session, renvoyer avec hauteur à la couronne, sans consentir même à discuter les amendemens proposés par les ministres, un projet de loi sur les droits seigneuriaux voté dans la précédente législature, projet auquel le roi, selon sa prérogative constitutionnelle, avait refusé sa sanction, dans un intérêt d’ordre public et d’équité, parce qu’il prescrivait des recherches dangereuses et le plus souvent impossibles. Chaque jour, les membres du premier ministère si soudainement congédié par le monarque venaient demander compte aux dépositaires de sa chancelante autorité d’une situation que d’autres avaient compromise avant eux. Par une adresse solennellement discutée[2], on lui notifia que les cortès renvoyaient au ministère la responsabilité des évènemens qui semblaient menacer l’Espagne. Si des insurrections absolutistes éclataient sur tous les points, c’était aux ministres qu’il fallait s’en prendre, car ils ne les réprimaient qu’avec mollesse ; si des désordres d’une autre nature venaient à se manifester, leur culpabilité devenait plus manifeste encore, car leur système de répression, en poussant les patriotes au désespoir, ne leur laissait d’autre ressource qu’une violence déplorable sans doute dans ses résultats, mais peut-être justifiée dans son principe. Raisonnement dont notre longue expérience laisse facilement deviner le reste.

Que pouvait au sein d’une assemblée où pénétraient toutes les clameurs du dehors la voix pure de ce Martinez de la Rosa, orateur-poète que sa nature appelait à faire l’ornement d’une société florissante et calme, et dont la vie s’est usée contre toutes les passions aveugles ou brutales ? Que pouvaient alors les hommes de la même école, habiles et nombreux sans

  1. Le chef politique Escovedo. Il fut décidé, après une longue discussion, à la majorité de 76 voix contre 54, qu’il siégerait aux cortès, nonobstant l’accusation de haute trahison portée contre lui, laquelle devait suivre son cours. Peu après, Escovedo fut solennellement acquitté.
  2. 24 mai 1822.