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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

contenir ceux qui l’ont faite. Octave dotait en fonds de terre les vétérans de César ; Napoléon eut aussi sa Légion-d’Honneur et ses dotations à l’étranger, ressources impuissantes si l’empire eût traversé la dangereuse épreuve de la paix. Les gouvernemens de tribune sont, à cet égard, dans la même situation que les gouvernemens d’épée, et l’Espagne ne pouvait tarder à l’éprouver. Quoique l’armée de l’île de Léon eût presque toujours été vaincue, ce lieu devint le Capitole de la liberté reconquise, et quelques régimens se constituèrent puissance politique. Leurs chefs, après un refus enregistré dans les journaux, acceptèrent sans difficulté des grades et même des récompenses pécuniaires, le désintéressement devant céder au patriotisme.

Cependant les cortès sentirent qu’elles n’étaient point libres tant qu’un autre pouvoir dominerait le leur. Bientôt Riego vint à Madrid les insulter de sa présence, et recueillir des applaudissemens qui s’adressaient moins à l’auteur d’une révolution consommée qu’au factieux disposé à en tenter une autre. Mais il n’était pas temps. Cette fois, le congrès et le gouvernement s’entendirent, et le chef des hommes de 1820, devenus les adversaires des hommes de 1812, passa du triomphe à l’exil, en attendant son heure, qui devait promptement sonner[1].

Des conspirations avaient été découvertes dans quelques villes contre le régime nouveau. À Saragosse, plusieurs membres influens du clergé parurent avoir pris part à ces complots ; en Galice, quelques centaines d’anciens guerilleros, de déserteurs et de paysans, coururent les campagnes en organisant une junte apostolique qui se cachait dans les bois, mais dont les clubs de Madrid tiraient un merveilleux parti. Les cortès, au lieu d’essayer d’une fermeté calme, demandèrent de la force aux passions qu’elles avaient mortellement offensées ; et pour les ramener, l’assemblée affecta des alarmes qu’elle n’éprouvait pas encore.

La discussion de la loi régulatrice des ordres religieux dut se ressentir de cette nouvelle disposition des esprits. L’on prétendit faire seul, et en un jour, l’œuvre des années, imprimant ainsi une couleur de violence et de sacrilége à des mesures dont la prudence de Rome aurait compris la nécessité de sanctionner le plus grand nombre. En supprimant immédiatement la plus grande partie des congrégations religieuses, et en mettant leurs biens en vente, on se créait des difficultés de plus d’un genre. Si,

  1. Après sa première apparition à Madrid, le général Riego, destitué de la capitainerie-générale de la Galice, qui lui avait été conférée après la révolution, reçut ordre de se rendre en exil à Oviedo, sa patrie. Il y resta jusqu’à sa nomination à la capitainerie-générale d’Aragon. Dans un nouveau jour de courage, le gouvernement le révoqua plus tard de ce poste important ; mais alors Riego, chef des exaltés, était plus puissant que le ministère et le roi, les cortès et la constitution.