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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

ninsule, naguère si glorieuse, aujourd’hui si sombre et si abaissée, où se croisaient tant d’intrigues inhabiles, qui n’avaient souvent aucune signification politique ; intrigues qui cependant faisaient et défaisaient les ministères, et dont les fils se nouaient loin de tous les regards, dans le secret des résidences royales.

Observons ici un nouvel exemple de cette puissance exercée par les idées contemporaines sur les gouvernemens dont l’unique préoccupation est de leur échapper.

L’ancien régime prétendait ressaisir l’Espagne ; mais il n’y pouvait réussir qu’en retrouvant les mines du Nouveau-Monde, pour solder par leurs produits périodiques la paresse d’une administration aussi nombreuse qu’inutile, et en endormant le génie national par un monopole sans concurrence. Il fallait avoir raison des insurrections déjà victorieuses ou près de le devenir, à Vénézuéla, au Chili, au Pérou, à Buenos-Ayres, au Mexique, et combattre à la fois sur tous les points de cet immense continent. Morillo, épuisé par une guerre qui l’appelait tantôt au sommet d’inaccessibles cordillières, tantôt au fond de solitudes désolées, devait succomber infailliblement si la mère-patrie ne lui envoyait de prompts et puissans secours.

Or, pour combattre cette révolution qu’on appelait une révolte, et avec laquelle il n’eût pas alors été plus impossible au roi Ferdinand de transiger en Amérique qu’en Europe, on devait d’abord se procurer une armée, au risque de se livrer à la classe qui avait vu avec le plus de répugnance le rétablissement de l’ancien ordre de choses. Pour embarquer cette armée, il fallait une flotte qu’on n’avait ni le temps ni les moyens d’équiper, et qu’on fut réduit à marchander à la Russie ; il fallait enfin des ressources présentes pour ressaisir ces trésors, base problématique de l’édifice si témérairement relevé ; et pour avoir de l’argent, force était de s’adresser au crédit, de donner, avec des garanties pour la dette publique, quelques gages d’une bonne administration.

Cette nécessité fut si pressante, que l’antipathie entretenue contre les innovations et les novateurs dut parfois plier devant elle. L’on transigea de mauvaise grace, mais l’on transigea ; ce fut ainsi que les Éguia, les Lozano de Torres, ces immobiles champions des coutumes paternelles, reçurent à côté d’eux, dans le conseil ministériel, don Martin Garay, surnommé le Necker de l’Espagne, et quelques hommes de la même école.

Ce ministre devait assurer des services pour lesquels il était sans aucune ressource, et en même temps faire honneur à une énorme dette publique à laquelle on venait d’enlever ses gages. La partie la plus pesante se composait de ces valès royaux auxquels les cortès avaient rendu