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et qu’ensuite la paix et le bonheur avaient pendant quinze ans récompensés et amollis : la passion enflammait les hommes jeunes et les masses ; mais les rois et les ministres de l’Europe ne voulaient pas jouer un repos que rendaient bien cher d’anciens souvenirs et une longue jouissance. Cette situation dure encore et ne doit pas étonner, si l’on prend en considération les passions humaines. La vie des peuples, comme celle des individus, est semée d’accidens et de traverses :


Per varios casus, per tot discrimina rerum
Tendimus
.....


Au surplus, la paix est toujours un bien, quand elle n’est pas achetée aux dépens de l’honneur, et, Dieu merci ! nous ne l’avons pas payée d’un tel prix : la France n’a pas été héroïque, mais elle n’a reçu la loi de personne ; elle n’a pas tiré l’épée, mais elle a mis la main sur la garde d’une assez militaire façon. Elle s’est abstenue d’agir, parce qu’on l’y a contrainte ; rien n’a été résolu, mais aussi rien n’a été entamé ; et s’il est permis d’appliquer un terme de droit civil à de si grands intérêts, nous sommes en paix avec l’Europe, toute chose demeurant en état.

Puisqu’aujourd’hui la réflexion a succédé à l’enthousiasme, et que les peuples ont du loisir, pour étudier la nature des rapports entre eux, la raison de leurs amitiés, de leurs alliances, il nous a semblé qu’il ne serait pas inutile de rechercher quels sont les véritables intérêts de la France vis-à-vis les autres nations. La politique ne vit plus à l’ombre du mystère, et il importe d’autant plus d’avoir raison, que le secret est désormais refusé aux desseins illégitimes et déraisonnables. Désormais la publicité, comme la lumière, tombe partout ; et il ne s’agit plus de rien cacher, mais de bien faire. Nous dirons donc sans détour et sans crainte nos opinions et nos vues : en nous lisant, on pensera que nous aimons beaucoup la France ; mais on devra nous reconnaître aussi quelque affection pour les autres peuples et quelque sollicitude pour leur grandeur. Le patriotisme n’est pas pour nous l’exclusion de l’humanité, mais, au contraire, le point central dont l’homme s’élance pour la comprendre et pour l’aimer. L’ancienne Rome élevait sa grandeur sur la ruine et la honte des peuples ; Paris ne peut affermir la sienne