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au point que la proportion du revenu au capital n’est plus, dans quelques localités, que d’un pour cent. Mais qu’importe aux petits cultivateurs que le loyer du capital diminue ? Il leur suffit que la terre récompense les sueurs du travail.

Pour citer un exemple, le département de la Creuse, coupé de vallées étroites, profondes et peu fertiles, semblait devoir être un pays de forêts, de pâturages, et, par conséquent, de grande culture. Les circonstances ont modifié cette destination naturelle du sol. Chaque année, 25,000 jeunes gens, le dixième de la population, quittent leurs foyers au printemps, et vont louer leurs bras à Paris, en qualité de maçons, de tailleurs de pierre ou de charpentiers ; ils reviennent vers les montagnes, au mois de décembre, rapportant, en moyenne, 200 fr. chacun, et, tous ensemble, 5,000,000 de francs. Cette somme est immédiatement appliquée à des acquisitions de terre ; et la multitude des acquéreurs est telle qu’un sol au moins médiocre, exposé, pour ainsi dire, à une perpétuelle enchère, augmente chaque année de valeur.

Dans les départemens où le commerce et l’industrie manufacturière sont en pleine prospérité, c’est la bourgeoisie des villes qui convertit ses épargnes en fonds de terre. Elle achète également à mesure qu’elle réalise les profits, c’est-à-dire, par petites sommes et par petits lots. Un marchand se croit riche quand il possède 15 à 20 arpens ; un paysan, s’il a péniblement acquis huit à dix lots de demi-arpent.

Lorsque ces propriétés se divisent par l’héritage, les compensations ne se font pas à prix d’argent, entre les enfans ; chacun réclame sa part de chaque lot : autant de pièces de terre, autant de partages ; ainsi le veut la loi d’égalité interprétée par ces égoïsmes ignorans.

Les mariages recomposent les fortunes, il est vrai, mais non les domaines. On vient de voir avec quelle facilité le morcellement s’opère ; ces parcelles, qui n’avaient pas une valeur échangeable avant d’être détachées de l’ensemble, et qui ont acquis une valeur positive en s’isolant, contractent une valeur idéale et sans limites quand on prétend les réunir de nouveau. Un arpent de terre valait 100 écus dans une propriété de 200 arpens, il vaut 1,000 fr. pour le paysan qui n’en possède qu’un seul. Qu’un pro-