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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

judaïques sans en saisir l’esprit et en le dépouillant de ses contrepoids.

Une sorte d’unanimité présida pendant trois ans à cette longue série de travaux, qui devait, plus tard, soulever de trop justes objections, et que l’opinion publique accueillait alors avec une irréflexion enthousiaste.

Complètement livrées à elles-mêmes, sans plan et sans direction, soit par l’impéritie, soit par la mauvaise volonté de quelques membres de la régence, les cortès eurent le malheur de commencer leur œuvre sans aucune influence pour contenir l’élan de chaque pensée qui se produisait au hasard ; et si la nullité presque absolue des résistances ne donna guère lieu à la verve révolutionnaire de s’allumer, cette dangereuse omnipotence exposait à la tentation des utopies ; et tel fut, en effet, le caractère dominant de leurs élucubrations législatives.

Il est juste de dire, néanmoins, que dans beaucoup de questions spéciales, résolues en courant au milieu des périls d’une guerre à laquelle s’attachaient toutes leurs pensées, les cortès extraordinaires firent preuve d’une sagacité que n’eût pas désavouée notre assemblée constituante dans ses meilleurs jours. Le congrès réforma l’administration provinciale, et refondit les diverses parties de l’organisation judiciaire, supprimant avec toutes les juridictions seigneuriales les prestations réelles et personnelles provenant d’une origine féodale ; faisant ainsi à Cadix ce que Napoléon et Joseph firent à Madrid : singulière coïncidence, qui est à elle seule une complète révélation de l’état moral de l’Espagne. Parmi les objets qui éveillèrent surtout la sollicitude de l’assemblée, figurèrent les finances et la dette publique ; et, malgré quelques fautes, au premier rang desquelles se place la tentative d’un impôt progressif, on doit reconnaître que les travaux de Canga Argüelles sur une matière entièrement neuve pour l’Espagne révèlent un esprit fort éclairé.

Mais que servirait de rappeler des lois abîmées, avec tant d’autres, dans le gouffre des révolutions, au-dessus duquel ne surgit plus de toute cette époque qu’un code dernièrement retrouvé dans le havresac d’un sergent, et imposé, pendant une nuit d’angoisses, aux terreurs d’une femme ? Nous nous bornerons à parcourir ses dispositions principales, n’attachant guère qu’une valeur historique, même depuis sa renaissance, à un document que les ministres sortis de la crise de Saint-Ildefonse affectent de considérer « moins comme une institution politique que comme un monument de gloire, dont il n’est pas un Espagnol éclairé qui puisse méconnaître les imperfections, suite inévitable de la fatalité des circonstances où elle a été votée[1]. »

  1. Exposition à sa majesté la reine-régente du 21 août 1836.