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l’indemnité octroya plus tard aux propriétaires dépossédés, en réparation de leurs pertes, une libéralité de 800,000,000 fr.[1]. On leur prodigua les places, les faveurs, les pensions ; ils mirent la France à contribution pendant quinze ans, et de toutes ces dépouilles recomposèrent insensiblement les patrimoines que la tourmente révolutionnaire avait détruits.

Si la recomposition des grands domaines n’a pas balancé, malgré tant de circonstances favorables, le mouvement de décomposition, cela tient à des causes peu apparentes, mais réelles : à l’état de la richesse et de la culture intellectuelle, en un mot, de la société.

On ne saurait le dire trop haut ni trop souvent, la France actuelle est une société de récente formation, dont les forces et les facultés n’ont pris que de faibles développemens, qui n’a pas eu le temps d’amasser ni de mettre en réserve, et où toutes choses sont encore à l’état parcellaire : les lumières, les croyances, les capitaux et l’industrie. La division du sol n’est que le symbole exact de cette civilisation.

En Angleterre, les grandes propriétés trouvent sans peine des acheteurs, parce que les grandes fortunes n’y sont pas rares et que le nombre en va croissant[2]. L’on affiche journellement dans les feuilles publiques des terres à vendre de trois, quatre, cinq et six mille acres d’étendue. Veut-on diviser la vente ; on fait vingt ou trente lots d’un domaine de 1,500 acres, chacun desquels serait encore, de ce côté du détroit, une propriété de moyenne grandeur.

En France, les terres d’une certaine étendue n’ont pas de valeur vénale[3] ; pour les faire rentrer dans la circulation, il faut, de toute nécessité, les diviser et solliciter ainsi les petits capitaux à s’y porter. Le paysan est économe, il gagne de bonnes journées et vit de peu. Quand il n’enterre pas ses économies, comme les révolutions et les invasions l’ont rendu méfiant, il ne croit ni aux rentes sur l’état, car l’état a déjà fait banqueroute ; ni aux caisses

  1. À la révolution de juillet, M. Laffitte fit prononcer l’annulation des rentes qui appartenaient encore au fonds commun, et qui représentaient un capital de 200,000,000 fr.
  2. En 1812, Colquhoun comptait déjà en Angleterre cent vingt millions de propriétaires ou rentiers jouissant de plus de 800 liv. sterl. de revenu.
  3. Cela est si vrai, que, lorsqu’on veut vendre en bloc un grand domaine, on cherche des acheteurs en Angleterre, et l’on fait annoncer la vente dans les journaux anglais.