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Ce fut un grand jour que celui où les cortès, réunies dans la cathédrale de l’île de Léon, au milieu d’un concours immense, appelèrent les bénédictions du ciel sur leurs travaux et sur le peuple auquel elles espéraient payer bientôt en prospérités le prix d’un dévouement sublime. Dans les grandes crises de l’existence publique et privée, celle-ci semble parfois se concentrer sur l’instant unique où elle s’est illuminée tout entière. On vit alors dans ce souvenir comme dans une sainte monomanie ; il survit à toutes les vicissitudes, et trop souvent à toutes les leçons de l’expérience et du malheur.

Qu’on ne s’effraie ni qu’on ne s’étonne de voir les souvenirs de 1812 résister, chez quelques hommes, aux épreuves des présides et de l’exil, à celles plus instructives encore des révolutions ; car ce sont là de ces émotions qui fascinent à jamais la vie. Quelles indélébiles empreintes elles durent, en effet, laisser dans les ames ! À l’extrémité de l’Europe, sur un rocher battu des mers, et qu’entourait une armée victorieuse dont le canon formait le sombre accompagnement des acclamations publiques, évoquer en face de Napoléon la liberté de l’Espagne, et peut-être celle du monde ; monter le matin à la tribune pour veiller peut-être le soir à la brèche ; commencer l’histoire de la délivrance de la patrie à la grotte de Pélasge pour la finir, après plus de mille ans, aux colonnes d’Hercule : gloire acquise à force de foi religieuse et nationale, et dont les fautes de l’inexpérience ne sauraient déshériter l’Espagne !

Les cortès, dès leurs premières séances, prirent, avec tout l’entraînement d’un esprit oisif et jeune, possession du vaste champ qui s’ouvrait devant elles. On se lança, avec une vive curiosité d’intelligence bien plutôt qu’avec de violentes passions, dans l’examen des doctrines les plus ardues de la sociabilité. La souveraineté et la représentation nationale, les limites respectives des pouvoirs, les fondemens de la justice et des droits, la liberté de la presse, toutes ces questions furent abordées, remuées, résolues avec cette facilité confiante qui se prend vite dans les livres, et se perd au long usage des affaires.

Dans l’émulation de réformes où s’abandonnèrent à l’envi les membres de l’assemblée, avec le généreux entraînement de notre nuit du 4 août, les uns étalaient à plaisir une érudition puisée en cachette dans les livres du xviiie siècle ; d’autres, clercs ou laïques, apportaient à la tribune un esprit aiguisé par les disputes scolastiques, et chargé de textes et d’autorités ; presque tous, étrangers au maniement des hommes et des intérêts publics, suppléaient par des hypothèses à ce qu’il leur avait été jusque alors interdit d’étudier. Ainsi l’on vit des dispositions inapplicables à la société contemporaine sortir à la fois et des théories philosophiques absolues et d’une étude incomplète du passé, auquel on fit des emprunts