Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
REVUE DES DEUX MONDES.

qui nous prête à ce sujet plus de prétention admirative que n’en contiennent nos conclusions, déclare que les réhabilitations sont chose chimérique, et que c’est surtout dans l’histoire des littératures que les morts ne reviennent pas. Mais d’abord, je lui ferai remarquer que c’est déjà une grande réhabilitation obtenue, que cette part d’importance faite par lui-même au poète jadis étranglé dans six vers de Boileau. Quant à l’axiome sur les réhabilitations, j’avoue ne pas en saisir le sens et n’y voir qu’une phrase. Pourquoi, dans les littératures surtout, n’y aurait-il pas des livres, des hommes, un moment glorieux et surfaits, ensuite dépréciés outre mesure et rejetés, qu’une plus juste et tardive appréciation remettrait en une place inférieure à la première, mais honorable encore ? Ce Balzac, par exemple, qui, selon l’expression de M. Nisard, a constitué la prose, a été surfait de cette sorte, puis mis presque à l’oubli, et le premier qui ait rappelé et fait de nouveau valoir ses vrais titres à cette constitution de la prose française, c’est… qui ?… l’abbé Trublet en personne ; oui, l’abbé Trublet, que je ne veux pas réhabiliter, lui, pour cela, rassurez-vous !

Je ne suivrai pas M. Nisard dans ses divers jugemens sur Montaigne, sur tout le xviie siècle, sur les prosateurs du xviiie, Montesquieu, Buffon, qu’il traite avec une vraie supériorité. Le pinacle, en quelque sorte, de sa construction théorique, est Buffon et son Discours sur le style. Au milieu de toute l’adhésion due aux principes et à la majesté de ton de l’illustre modèle, et aussi à la noblesse de ton de son admirateur, je n’ai pu m’empêcher, je l’avoue, de sourire de cette affinité élective si déclarée, de ce choix de M. de Buffon ; et je me suis rappelé que, si M. de Buffon avait demandé sa voiture au plus beau de la lecture de Paul et Virginie, M. Nisard avait (toutes proportions gardées) étouffé autant qu’il avait pu le charmant recueil de Marie, où brille en vers heureux plus d’une idylle, sœur d’enfance de Paul et Virginie. Il y a, dans le livre sur les poètes latins, une longue page de colère ou de pitié contre les enfances décrites en vers, laquelle n’existerait pas si M. Brizeux n’avait pas fait Marie.

On doit cette justice à M. Nisard que, dans ses jugemens sur le passé, il ne s’amuse pas au menu de la littérature, qu’il vise à l’essentiel, qu’il s’attaque à l’important et au solide, qu’il a de l’é-