Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
279
ÉCRIVAINS CRITIQUES CONTEMPORAINS.

.......... Ut per læve severos
Effundat junctura ungues
....


M. Nisard traduit : « (Vos vers sont si coulans et si harmonieux) que sur leur surface polie les soudures rejettent le doigt le plus sévère, » et il ajoute : « …Effundat ungues… Quelle expression lourde et fatiguée ! » et il redouble et triomphe dans sa supposition : « Que dirait-on de plus pour un abîme qui revomit sa proie ? pour un volcan qui rejette la lave de ses entrailles, etc., etc. ? » Or, si effundere ne veut pas dire ici rejeter, revomir, mais seulement laisser courir, que signifie toute cette indignation ? Il y a un vers charmant du vieux dramaturge Hardi, le seul bon, je crois, qu’il ait fait ; je demande pardon (en matière aussi classique) de ce qu’il y a d’un peu léger dans la citation :

Couler une main libre autour d’un sein neigeux…


Voilà le vers. Retournez la phrase : au lieu de la main qui coule, vous avez le sein neigeux et poli qui la laisse couler ; et c’est juste effundere. Il n’y a pas là de vomissement.

Mon ami, qui est sagace et quinteux, et plus porté à saisir le mal que le bien, a couvert les marges de son exemplaire de petites notes pareilles sur les faux sens, les traductions infidèles et onéreuses au pauvre auteur traduit : Un silence acre (silentium acre), un royaume bien portant (regnum salubre), etc., etc. ; méthode d’avocat pour faire rire aux dépens de la partie adverse ! Au nombre des torts de langue imputés à Lucain, M. Nisard l’accuse de donner des sens indéterminés et divers à certains mots qui, dans la latinité classique, sont, au contraire, dit-il, parfaitement déterminés et précis ; et il allègue le mot fides qui, bien loin de là, comme me l’assure mon ami, et comme mon propre instinct de simple amateur me le confirme, a naturellement tous ces sens divers, et est un de ces mots de magnifique latitude chez les meilleurs écrivains, comme laus, comme honos. La philologie de M. Nisard, juste en résultat général, a ainsi beaucoup d’arbitraire et de parole vaine dans le détail. J’y trouve, sous le rajeunissement d’une forme plus piquante, trop de cette tradition factice de M. Nicolas-Éloy Lemaire, tant vanté, s’il m’en souvient, par M. Nisard. Il blâme à tout moment dans Lucain ce qu’il trouverait moyen d’admirer comme des audaces dans Virgile. Pour revenir à Perse, le critique, après