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siècles y est tout entière traitée, plusieurs même des grands noms assez en détail. Le point de vue essentiel se rattache à la position que l’auteur a prise depuis plusieurs années, et à un rôle littéraire qui doit avoir de l’avenir en lui, nous le croyons.

M. Nisard, ancien élève et très fort élève de la Sainte-Barbe-Nicole, et rédacteur encore secondaire aux Débats, se montrait fort attentif, vers 1829, au mouvement littéraire et poétique qui s’émancipait de plus belle alors. Beaucoup de ses opinions d’aujourd’hui ont leur origine et leur racine en ce temps : seulement il s’est attaché à contredire depuis et à combattre sous toutes les formes ce qu’il avait à son début trop entendu affirmer. Il n’était pas de ces talens qui doivent réussir, dans leur première poussée, par des essais de création et d’art : il n’a rien fait en art (que je connaisse), hormis plus tard une toute petite nouvelle (la Laitière d’Auteuil), qu’il a donnée comme échantillon d’histoire simple, et qui est la faiblesse même. Mais il arriva assez vite par la réflexion à la seconde phase de l’esprit, à la critique, son vrai talent. Quelle place était alors à prendre dans la critique ? La révolution de juillet, en rompant brusquement le concert poétique, montrait bien ce qu’il ne fallait plus faire, mais non pas ce qu’il fallait. Évidemment, il n’y avait pas à songer, après 1830, à devenir ou à continuer d’être le critique du romantisme poétique. M. Nisard tâtonna quelque temps. Il s’approcha des hommes politiques, de M. Bignon, je crois, dont la phrase d’ailleurs, pleine et nombreuse et vraiment académique, semblait de si bon style à feu Louis XVIII. L’esprit de M. Saint-Marc Girardin et son style beaucoup plus leste préoccupaient aussi vivement M. Nisard : il s’en sentait tour à tour attiré ou repoussé, selon qu’il voyait son collaborateur des Débats, tantôt comme maître en talent, tantôt comme rival. Mais bientôt l’esprit de Carrel le tenta. Et ce n’était pas l’esprit politique, la passion agressive de Carrel qui l’attirait, c’était l’excellence de l’écrivain, le bon sens qui persistait si juste et si sain au fond de l’humeur belliqueuse et à travers cette noble bile (splendida, mascula bilis). M. Nisard d’ailleurs n’avait pas de tradition politique directe et fixe, point de passion léguée. Élève de la Sainte-Barbe-Nicole, il n’avait pas été nourri à haïr la restauration. Après juillet, il n’avait pas aussitôt haï l’usage qu’on avait fait de cette victoire. Il mêlait dans une admiration, dans une apothéose