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huit sous par jour en temps de paix ; une partie pourtant n’est point soldée, et ceux-là sont obligés de travailler à la terre ou d’exercer un métier dans les villes où ils sont en garnison ; mais ils ont des aubaines : ce sont eux qu’on choisit d’ordinaire pour escortes et pour messagers. L’officier qu’Achache nous avait envoyé le matin resta auprès de nous en qualité de garde-du-corps ; à raison de deux piastres par jour, il avait ordre de nous protéger et de nous accompagner partout ; la précaution n’est pas inutile, car la population de Tétouan est très fanatique, et sans lui nous aurions été insultés à chaque pas ; nous le fûmes même plusieurs fois malgré sa présence.

En quittant le bacha, nous allâmes, par une suite de charmans petits sentiers bordés de haies vives, au jardin du sultan ; ce n’est qu’une immense forêt d’orangers, qui étaient alors tout chargés de fruits ; jamais je n’en avais vu une telle profusion, même en Sicile ; c’est vraiment le jardin des Hespérides. Les oranges de Tétouan sont les plus renommées de la Barbarie, et elles méritent leur réputation ; ce sont peut-être les meilleures qu’il y ait au monde. On en charge des bâtimens pour l’Espagne et pour Gibraltar ; mais aucun sujet ne peut vendre les siennes avant que celles du souverain ne soient vendues jusqu’à la dernière. C’est le privilége dans toute sa nudité. Du reste, elles sont à vil prix ; nous en achetâmes trois cents pour les porter à Tanger, et le jardinier impérial nous tint pour des seigneurs fort généreux parce que nous les payâmes 3 francs, c’est-à-dire un centime la pièce.

Toutes ces campagnes sont riantes, et cultivées avec un soin qui rappelle la culture des royaumes de Murcie et de Valence ; une belle rivière serpente au milieu et sert à l’irrigation des orangers ; de hautes haies de lentisque et de chèvre-feuille servent de clôture, et des vignes, dont le raisin est célèbre, se balancent avec grace aux rameaux des arbres. Du côté de la ville, l’horizon est borné par un amphithéâtre de montagnes du plus grand style ; de l’autre côté, l’œil se repose sur la surface unie et calme de la Méditerranée. L’Italie et l’Espagne n’ont pas de site plus champêtre à la fois et plus pittoresque. La cité, dont on aperçoit par échappées les murs blancs à travers les massifs de verdure, n’est pas le moindre ornement du paysage. Debout sur la colline et toute hérissée de minarets silencieux, elle domine au loin la plaine et l’Océan. Je m’égarai