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moqueur, subtil et cruel. Le style de M. Léon Gozlan, c’est l’arbre touffu débordant de sève, qu’on doit émonder si l’on ne veut pas laisser étouffer son fruit par son feuillage.

Nous dirons peu de chose d’un petit livre dont la lecture nous a contristés. Nous avions ouvert avec joie la Première Communion de M. Delécluze, parce que nous estimons beaucoup le talent aimable et distingué de l’auteur, parce que nous avions compté retrouver dans son nouvel ouvrage quelque air de famille avec Mademoiselle Justine de Liron. Notre désappointement a été complet. La fable insignifiante et débile de la Première Communion n’a pas même le mérite de la vraisemblance. Louise, charmante enfant de quinze ans, possédait toutes les qualités de l’esprit et du cœur, n’était la ferme résolution de ne point croire en Dieu, qu’elle a logée dans sa petite tête. Cette inexplicable incrédulité désespère la comtesse de Soulanges, sa mère, qui met tout en œuvre pour ramener sa fille au sentiment religieux ; mais, conseils, prières, sermons, curé, directeur, rien n’y fait. La famille désolée perdait tout espoir. Voilà qu’un beau jour Louise est allée cueillir des fraises avec Toinette, une paysanne du village ; or Toinette, tout en cueillant des fraises, lui a conté comment, depuis qu’elle est orpheline, Dieu lui est apparu et lui a inspiré la force de servir de mère à son frère et à ses sœurs. Cette confidence donne à penser à notre jeune esprit fort ; rentrée en sa chambre, elle se jette en sanglotant au pied d’un crucifix. Toinette a mieux prêché que le directeur ; voilà Louise convertie, et en état de faire sa première communion. Bien plus, elle a subitement passé de l’athéisme à la dévotion fervente. À peine a-t-elle reçu l’hostie, qu’elle se sent possédée d’un bonheur inconnu. Elle est si heureuse, qu’avant de sortir de la sacristie, elle souhaite de mourir ; souhait que Dieu exauce vite, car une grande croix de procession lui tombe sur la tête et la tue. Ajoutons qu’afin d’obéir le plus chastement possible à la condition sine quâ non du roman, qui veut qu’un mariage au moins soit montré en perspective, l’auteur a placé à distance de la jeune fille un M. de Lébis, épris pour elle d’un amour tiède et lointain, mais qui aime passionnément l’odeur des fraises, sans doute parce sa prétendue aimait beaucoup à les cueillir. Inconsolable de la mort de Louise, M. de Lébis s’en va se faire prêtre à Rome. Certes, nous sommes comme tout le monde excédés des romans frénétiques, tachés d’orgies de punch ou de sang, encombrés de cadavres ou d’ossuaires ; mais la réaction serait poussée trop loin, qui, par horreur et par dégoût du dévergondage actuel, prétendrait nous réduire au fade régime des histoires enfantines selon la recette de M. Bouilly. Ce n’est pas M. Delécluze qui en voudrait venir là. Vraisemblablement il ne s’était proposé que d’écrire une nouvelle exemplaire, édifiante, d’une innocence à toute épreuve, propre