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et en entreprises industrielles, non-seulement son propre argent, mais celui qu’il a en dépôt à titre d’officier public. La fortune n’a point favorisé ces spéculations hasardeuses. Maurice s’est ruiné, et il a ruiné ses cliens. Surviennent les évènemens de juin 1832, qui menacent le pays d’un bouleversement politique. Les cliens effrayés accourent tous ensemble retirer leurs fonds. Maurice n’a plus de ressource que celle du suicide. Victor, qui a failli le perdre, le sauvera. Il court à Paris, et le matin du 6 juin il achète à bas prix de la rente qu’il revend le soir à la hausse après la victoire du gouvernement ; puis il rapporte en poste à Maurice un gain de 170,000 fr. qui couvre, et bien au-delà, les pertes de l’imprudent et coupable notaire.

Quelle leçon résulte de ce portrait peint d’après nature, et dont le notariat moderne a fourni plus d’un modèle ? Que l’action du notaire est aujourd’hui dangereuse, sa probité peu sûre ; qu’il n’est plus l’honnête dépositaire d’autrefois, chez lequel se pourrissaient les sacs d’or qu’on lui confiait. Serait-ce là une marque d’accroissement de cette influence souveraine qu’on lui attribue ? Et comment justifiez-vous sa royauté ? Ses cliens, qui n’ont pas même encore le droit de le soupçonner, l’assiègent déjà et l’outragent, parce qu’il a demandé quelques heures avant de les rembourser. Le roi puissant en effet !

Mais n’insistons pas sur le démenti que le roman donne à la préface, M. Léon Gozlan est trop homme d’imagination pour s’enfermer stoïquement entre les quatre murs d’un système. Il a écrit un drame ardent et énergique. Il a noué une action forte et compliquée. Toutes les scènes ne sont pas vraies ; toutes sont accentuées vivement et saisissantes. Les caractères sont bien posés, bien soutenus. Pourtant nous signalerons aussi leur originalité paradoxale plutôt que leur vérité.

M. Léon Gozlan est un chaud coloriste ; il a répandu sur la portion descriptive du Notaire de Chantilly les plus riches trésors de sa palette. Rien de brillant et qui étincelle comme ses vues de la forêt et du vieux château ; la promenade d’Édouard et de Caroline, au clair de lune, se détache sur je ne sais quelle demi-teinte d’azur velouté ; la mort de la jeune comtesse de Meilhan dans la serre chaude, sous le mancelinier, semble une vision. Ces fleurs exotiques qui s’ouvrent à la vie soudainement écloses, et versent leur parfum naissant, tandis que la jeune fille, autre fleur, exhale son ame et referme son calice, asphyxiée par tant de douces odeurs, tout cela fait un tableau fantastique qui désole et enivre.

Le livre tout entier est écrit de verve. Mais, le dirons-nous ? La verve de M. Léon Gozlan va trop à bride abattue ; parfois elle l’emporte au-delà des bornes du goût. L’auteur pêche le plus souvent par un excès d’esprit. Il en met trop uniformément, partout et du même, du même esprit