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mère mal nommée, mother miscall’d, comme la qualifie si bien la juste indignation du poète, ne suffisait-il pas de la peindre fidèlement avec toute sa méchanceté obscure, couverte, persévérante, impitoyable ? N’eût-ce pas été bien mieux et bien assez ?

Le romancier ne dépense pas moins d’imagination pour finir la vie de son héros, qu’il n’en avait employé à la commencer et à la conduire. Il le marie, il le peint mauvais mari, plus mauvais maître d’école ; puis définitivement il le fait mourir à Londres, sur la paille, couronné d’épines, dans la prison de Clerkenwel, tandis qu’il est mort à Newgate de Bristol, où il avait été écroué, faute de paiement d’une dette de huit livres, contractée en une taverne. Mais, misère pour misère, prison pour prison, peu importe, se sera dit M. Michel Masson. Un autre tort que nous lui reprochons, c’est d’avoir inutilement outré le caractère de Savage. Le véritable Savage était irritable, vaniteux, de la race des poètes enfin. D’ailleurs sa vanité était naïve, pleine de bonhomie : il croyait à son talent, et il avait raison, car son talent était vrai, sobre, consciencieux ; il écoutait les conseils et en profitait. Il refit deux fois sa tragédie d’Overbury ; la correction d’une épreuve était sa grande affaire. Une virgule omise le désespérait. Le Savage du romancier n’est qu’un monstre d’orgueil, il n’appartient pas à l’humanité littéraire du xviiie siècle.

Le style d’une Couronne d’épines est fort inégal. Dans ses bons momens, il est simple et naturel, un peu trivial quelquefois ; le plus souvent il se monte sur un ton épique qui fatigue. Chose singulière ! l’auteur s’était proposé un but utile. Il prétendait corriger de l’exagération, et il a fait contre elle un livre exagéré. Quoi qu’il en soit, malgré toutes ses fautes, nous le répétons, ce livre a de quoi plaire, et il plaira. Sa fable saisit et attache. Plusieurs de ses personnages fictifs sont bien inventés. Le tailleur David est une noble figure joviale, et généreuse. L’amour de Jane a de l’élan et de la fraîcheur. Nous sommes de l’avis de la dédicace de M. Michel Masson : Une Couronne d’Épines est son meilleur ouvrage. Ce n’est pas à dire encore qu’il soit excellent.

M. Léon Gozlan vient de donner la première série d’une publication qui excitera doublement l’attention, et par la popularité des sujets, et par celle du nom de l’auteur. Il traitera de l’influence des professions principales sur la société actuelle. Une introduction piquante développe l’idée-mère sous laquelle le plan de l’ouvrage est conçu. M. Léon Gozlan établit que l’esprit de doute et de liberté ayant détrôné le prêtre, jadis le roi universel, ce sont des conditions sociales, naguère inférieures, qui ont partagé son héritage, et se sont substituées à son autorité. Les petits rois qu’aurait suscités la chute du trône sacerdotal seraient, entre autres, le notaire, le médecin, l’avocat et le journaliste. Nous n’admettons pas im-