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souvent et il intéresse. Mais ce mérite très estimable et très suffisant pour le grand nombre des lecteurs ne satisfait pas également ces lecteurs exigeans qui demandent compte à l’écrivain de la légalité des moyens par lui mis en œuvre. Ce dont il s’agit ici, ce n’est point de le quereller puérilement pour quelques irrévérences envers la couleur locale ; c’est de savoir si, lorsqu’il a fait entrer dans un ouvrage d’imagination, comme élémens principaux, des faits historiquement consacrés, il lui est permis de les dénaturer et de les travestir selon le besoin de sa fable ou sa fantaisie.

Le poète Richard Savage est le héros d’une Couronne d’épines. Autour de lui, M. Michel Masson a groupé plusieurs personnages réels et fictifs. Assurément il était bien le maître de ceux qu’il avait inventés. Il avait pleine liberté d’arranger leur vie à son gré. Avait-il le même droit sur celles que lui avaient fournies des biographies authentiques, sur celle surtout d’un poète si parfaitement connu, si voisin de notre époque ? L’existence si tourmentée, si romanesque de Richard Savage autorisait-elle chez le romancier ce caprice qui l’a saisi de la bouleverser à plaisir et sans profit certain pour l’intérêt de son drame ? Nous ne le pensons pas.

M. Michel Masson refait d’abord à sa manière la naissance de Richard Savage. Sa mère, la comtesse Anne de Macclesfield, était, selon le roman, accouchée d’un fils que lord Macclesfield, son mari, croyait bien légitimement le sien. Mais un soudain repentir s’est emparé de la comtesse. Elle a rassemblé sa famille et ses amis ; en leur présence, elle se confesse solennellement adultère, elle proclame que Richard Savage, cet enfant nouveau-né qu’elle a fait disparaître et cacher, est celui du comte Rivers, son amant. Là-dessus lord Macclesfield meurt de désespoir et de honte. La veuve se console en prenant un nouvel amant tout jeune.

Selon les biographes contemporains de Savage, les choses se passent autrement. La comtesse de Macclesfield vivait fort mal avec son mari. Afin de briser le lien conjugal qui lui pèse, elle se déclare publiquement grosse des œuvres du comte Rivers. Le comte Macclesfield ne songe nullement à mourir pour cela. Il se borne à solliciter un divorce qu’il obtient par acte du parlement, le 3 mars 1697. Ce fait méritait d’autant moins d’être perverti, qu’il se rattache essentiellement à l’histoire parlementaire anglaise. Le bill du divorce ne passa pas d’emblée à la chambre des lords. Plusieurs pairs le combattirent comme un dangereux précédent. Et, en effet, ce fut la première dissolution de mariage prononcée civilement avant de l’avoir été spirituellement en cour ecclésiastique. Redevenue libre de sa main, lady Macclesfield épousa le colonel Brett.

Mais pour mieux compliquer son action et altérer davantage la vérité des faits, M. Michel Masson avait besoin de donner à la comtesse un