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probablement, en les priant de considérer que dans une littérature comme la nôtre la critique admet dans ses argumens le mépris pour les romanciers comme un droit incontestable. Au nom du ciel, est-il généreux de calomnier ainsi l’argumentation de la critique ? Est-ce que la critique méprise George Sand, Victor Hugo, Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, Alfred de Musset ? Est-ce qu’elle méprise M. Frédéric Soulié ? Soyez juste, même envers elle. Elle ne méprise que ce qui est méprisable. Loin de témoigner ce mépris des romanciers qu’on lui attribue, elle a le tort de les trop estimer peut-être, de trop s’occuper d’eux, de les choyer au point de négliger pour eux les poètes, leurs frères aînés pourtant, qu’elle laisse parfois si longuement se morfondre à sa porte. Vraiment, s’il n’était pas d’une si méchante humeur, nous dirions à M. Frédéric Soulié qu’il est bien ingrat.

Nous ne le querellerons pas sur la part qu’il fait à l’imagination dans le roman historique, part fort secondaire, selon nous, et qui réduirait presque la divine folle du logis au rôle d’antiquaire ; mais cet écrivain nous semble exagérer un peu l’importance de ces détails de décoration et de paysage qu’on est convenu d’appeler couleur locale. Nous n’en fournirons qu’un exemple que l’auteur ne nous saura pas mauvais gré de citer, puisqu’il l’a choisi lui-même afin de donner au lecteur un avant-goût de son érudition. « Je suppose, dit-il, un romancier écrivant ceci : Ambigat, roi des Celtes, entra dans la demeure d’Atax, qui était éclairée par une chandelle. » M. Frédéric Soulié, par parenthèse, n’a rien supposé du tout, car il a écrit cela dans Bebrix, le premier de ses romans historiques du Languedoc.

Vous qui lisez ma fidèle citation, ce commencement de récit vous eût-il le moins du monde choqué ou diverti ? Nullement, répondez-vous. Eh bien ! M. Frédéric Soulié parie qu’à ce mot de chandelle rapproché du mot celte, à ce luminaire de nos jours placé dans une époque si reculée, mille lecteurs vont rire, et tous les critiques siffler. Vous voyez que c’est un parti pris chez l’auteur de calomnier les critiques et de leur prêter des intentions perverses. « Voici, ajoute-t-il, ce qui m’a fait éclairer la demeure de mon Atax par une chandelle. Ma scène se passe en Berry, à une époque où l’olivier n’était pas encore introduit dans la Celtique, où la culture des plantes oléagineuses n’était ni connue ni exploitée, dans une condition atmosphérique où les arbres à résine ne venaient point ; et cependant les habitans devaient s’éclairer la nuit. Ces gens possédaient du chanvre et du lin qu’ils filaient admirablement ; ils avaient la graisse des animaux dont ils se nourrissaient ; ils ont dû avoir l’idée d’enduire les fils de chanvre de cette graisse pour en faire une espèce de chandelle ; je mettrai donc chandelle. » Va pour la chandelle. Nous ne trou-