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À LA MALIBRAN.

Lorsqu’on te rapportait plus froide que l’albâtre,
Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre
Regardait goutte à goutte un sang noir s’épancher,
Tu savais quelle main venait de te toucher.

xxvi.

Oui, oui, tu le savais, et que dans cette vie
Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir.
Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.
Tu connaissais le monde, et la foule, et l’envie,
Et dans ce corps brisé concentrant ton génie,
Tu regardais aussi la Malibran mourir.

xxvii.

Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie.
Ce que l’homme ici-bas appelle le génie,
C’est le besoin d’aimer ; hors de là tout est vain.
Et puisque tôt ou tard l’amour humain s’oublie,
Il est d’une grande ame et d’un heureux destin
D’expirer comme toi pour un amour divin !


Alfred de Musset.