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À LA MALIBRAN.

Nous qui sentons déjà le sol si variable,
Et, sur tant de débris, marchons vers l’avenir,
Si le vent, sous nos pas, balaie ainsi le sable,
De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vêtir ?

xvii.

Hélas ! Marietta, tu nous restais encore.
Lorsque, sur le sillon, l’oiseau chante à l’aurore,
Le laboureur s’arrête, et, le front en sueur,
Aspire dans l’air pur un souffle de bonheur.
Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore,
Et tes chants, dans les cieux, emportaient la douleur.

xviii.

Ce qu’il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive,
Ce n’est pas l’Art divin, ni ses savans secrets ;
Quelqu’autre étudiera cet art que tu créais ;
C’est ton ame, Ninette, et ta grandeur naïve,
C’est cette voix du cœur qui seule au cœur arrive,
Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais.

xix.

Ah ! tu vivrais encor sans cette ame indomptable.
Ce fut là ton seul mal, et le secret fardeau
Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau.
Il en soutint long-temps la lutte inexorable.
C’est le Dieu tout-puissant, c’est la muse implacable,
Qui, dans ses bras en feu, t’a portée au tombeau.

xx.

Que ne l’étouffais-tu cette flamme brûlante,
Que ton sein palpitant ne pouvait contenir !
Tu vivrais, tu verrais te suivre et t’applaudir
De ce public blasé la foule indifférente
Qui prodigue aujourd’hui sa faveur inconstante
À des gens dont pas un, certes, n’en doit mourir.