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est restée au dessous d’elle-même dans la pièce de Mme Ancelot. Elle ne s’est pas trompée sur le sens de son rôle, mais elle n’a pas rendu tout ce qu’elle comprenait. Elle n’a pas été fausse, elle a été incomplète. J’accorderai, si l’on veut, que le rôle écrit ne se distingue pas par l’expansion, mais je soutiens que ce rôle, interprété naturellement, pouvait s’agrandir et se renouveler, si l’actrice chargée de le traduire n’eût pas été exclusivement spirituelle. Mme Ancelot, en écrivant Marie pour Mlle Mars, a commis la première faute ; Mlle Mars, en acceptant le rôle de Mme Ancelot, a commis la seconde.

Je voudrais pouvoir me dispenser d’une réflexion triviale, mais vraie. Lors même que le rôle de Marie eût été en harmonie avec les facultés dramatiques de Mlle Mars, l’âge du rôle n’aurait-il pas dû l’engager à refuser ? Nous ne manquons pas de bonne volonté, et nous n’exigerons jamais qu’une actrice produise son acte de naissance avant d’entrer en scène ; mais, de bonne foi, pouvons nous admettre que Mlle Mars n’ait que seize ans au lever du rideau ? Nous permettons le mensonge dans les questions de calendrier ; ici le mensonge est trop fort, et la crédulité la plus complaisante ne peut tenir à une pareille épreuve. Seize ans au premier acte, vingt-quatre au second, et trente-trois quand le rideau tombe pour la dernière fois, en vérité, c’est une gageure contre le bon sens ; nous pourrions tout au plus admettre l’âge de Marie au troisième acte. En s’obstinant à jouer les rôles qui ne sont plus de son âge, Mlle Mars agit contre elle-même. La fraîcheur de sa voix, si souvent admirée, n’est déjà plus qu’un souvenir. Nous sommes bien forcé de le déclarer, quoique cet aveu nous soit pénible : Mlle Mars, à cette heure, ne parle plus, elle chante ; elle donne à toutes les syllabes de sa phrase une valeur musicale qui pourrait presque se noter. C’est une supercherie très pardonnable, mais qui frappe les oreilles les moins fines. Nier les années révolues, ce n’est pas se rajeunir, c’est vieillir deux fois.


Gustave Planche.