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toresque et physiologique ; l’héroïne de Mme Ancelot n’est pas de force à lutter contre un pareil adversaire. Si le drame, qui se donne pour le petit-fils de Shakspeare, et qui n’a dans son blason qu’un poignard et des cantharides, n’avait pas infligé aux spectateurs ses interminables tirades, nous aurions laissé passer Marie sans l’applaudir, et peut-être sans l’écouter. Il y a cependant dans le succès de cette pièce une leçon que nous ne devons pas négliger. Puisque la comédie de Mme Ancelot, réduite aux proportions d’un spirituel récit, a trouvé tant d’indulgence et d’attention, n’est-il pas raisonnable d’espérer qu’une pièce conçue selon les mêmes conditions, c’est-à-dire selon la vérité, mais construite plus hardiment, développée sur une base plus large, obtiendrait un succès glorieux et durable ? Puisque le cœur d’une femme, étudié superficiellement, a conquis le silence et les applaudissemens, n’est-il pas certain qu’un sujet de même nature, traité plus franchement, et dont tous les élémens seraient mis en lumière, plongerait dans un oubli équitable toutes les inventions qui se donnent pour sœurs d’Hamlet et de Desdémone ? Mme Ancelot ne nous a montré qu’une face de la réalité, une face étroite et à peine éclairée ; si la poésie persévérante et studieuse se décidait à marcher dans la voie humaine, et à fouler aux pieds tout le bagage inutile et sonore qui s’est appelé depuis dix ans couleur historique, n’aurions-nous pas le droit d’attendre un théâtre vraiment nouveau, c’est-à-dire vivant par lui-même, sans le secours du décorateur et du machiniste ? On nous reprochera peut-être de chercher un monde dans une goutte d’eau ; nous écouterons la réprimande sans essayer de la réfuter. Nous avons toujours pensé que la critique, réduite à enregistrer le procès-verbal d’une représentation, ne mérite pas le nom de critique. Nous pouvons nous tromper, et nous ne donnerons jamais notre avis comme infaillible ; seulement, en toute occasion, nous tâcherons de nous élever au-dessus du rôle de greffier. Nous ne sommes pas sûr de dire la vérité, mais nous disons du moins ce qui nous paraît être la vérité.

Mlle Mars, dans le rôle de Marie, a fait tout ce qu’elle pouvait faire. Quoique le rôle fût écrit pour elle, quoique l’auteur eût compté sur l’actrice pour compléter sa pensée, nous sommes forcé de reconnaître que l’actrice et le rôle sont en contradiction. Personne plus que moi ne rend justice au talent de Mlle Mars ; j’ad-