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nous étonner, car il y a, dans cet ouvrage, plusieurs qualités recommandables. Le style n’est pas d’une grande pureté, mais le dialogue est souvent spirituel, et l’auteur a trouvé moyen de présenter, sous une forme neuve et concise, des idées qui, depuis long-temps, sont habituées à l’indifférence. Quelquefois il a trouvé des idées tout-à-fait nouvelles, et qui révèlent chez lui un remarquable talent d’analyse : c’est plus qu’il ne faut pour justifier les applaudissemens. Toutefois, je croirais manquer aux devoirs de la critique si je ne présentais pas quelques réflexions sur le style de cette pièce. Ou je m’abuse étrangement, ou Mme Ancelot doit avoir lu et relu bien souvent le répertoire de Marivaux. Pour tout homme familiarisé avec les Fausses Confidences, il est évident que l’auteur de Marie a vécu dans l’intimité d’Araminte. Puisque Marie est le début de Mme Ancelot, je serais trop sévère en exigeant d’elle un style inventé, et ce n’est pas sur l’imitation envisagée absolument que je veux la chicaner. Mais je pense qu’elle eût bien fait de choisir un autre modèle, et voici pourquoi. Le style de Marivaux convient aux pièces de Marivaux, mais ne peut convenir aux pièces conçues dans un système qui n’est pas le sien. Or, Marie n’est assurément pas de la même famille que les Fausses Confidences. Marivaux s’est occupé souvent, et avec succès, de l’analyse du cœur, et surtout de la peinture des demi-sentimens ; il ne s’est jamais occupé de dévouement, parce que le dévouement ne saurait que devenir dans le monde de Marivaux. Marie, sans être une pièce dogmatique, et je remercie Mme Ancelot de n’avoir pas voulu nous moraliser, Marie est une pièce sérieuse, écrite pour un monde sérieux. Aussi, lorsque l’héroïne de Mme Ancelot s’exprime dans le langage d’Araminte, il nous semble qu’elle parle un idiome étranger. Nous nous demandons pourquoi cette femme si simple et si bonne s’amuse à aiguiser l’épigramme, à broder ses pensées de mots ingénieux, à rédiger des sentences, au lieu de dire clairement et sans apprêt ce qu’elle a dans le cœur. Le parterre et les loges ne sont peut-être pas du même avis que nous, car chacune des sentences récitées par Marie a été saluée avec empressement. Toutefois, en combattant l’avis général, nous croyons soutenir la cause de la vérité. Mme Ancelot craignait-elle que le sujet de sa pièce parût trop simple et ne rencontrât que l’inattention chez la majorité des