Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
REVUE ÉTRANGÈRE.

leur, que l’on dit aujourd’hui endormie, se réveillera sur sa couche éternelle ; car cette matière divinisée toute seule, dont on fait tant de bruit, est une religion de serfs affamés et nouvellement déchaînés, non d’hommes libres et raisonnables.

L’humanité privée de Dieu s’adore aujourd’hui de la meilleure foi du monde. Combien cette infatuation durera-t-elle ? Qui le sait ? qui se soucie de le savoir ? et qui voudrait le dire ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce Dieu nouveau se réveillera un jour, après la fête, sur son autel, pauvre, nu, pleurant, gémissant, et Gros-Jean comme devant.

iv.

Entre la France et l’Allemagne, la seule question qui, après toutes les autres, restera long-temps pendante, est celle des bords du Rhin. Il est naturel que, des deux côtés on y mette la même obstination ; de quelque manière que l’avenir la résolve, les poètes au moins conservent sur elle un droit qu’ils peuvent toujours revendiquer ; c’est ce que l’on a tenté de faire dans les stances suivantes par lesquelles nous terminerons cet aperçu, d’où nous avons cherché à éloigner tout souvenir irritant ou amer.

LES BORDS DU RHIN.

Il est une vallée où les biches vont boire
Au pied des châteaux-forts, où dans son cor d’ivoire
L’Écho fait retentir les jours qui ne sont plus ;
Les Sylphes diligens, dont notre âge se raille,
Les nains ensorcelés sous leur cotte de maille,
S’y suspendent encore aux balcons vermoulus.

Il est une vallée où la rose mystique
Croît encor sans culture, où sur la basilique
Parmi les verts tilleuls s’abaisse l’arc-en-ciel.
Tous les morts rejetés du souvenir des hommes,
Tous les espoirs chassés du désert où nous sommes,
S’abritent, les pieds nus, sous le gothique autel.