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REVUE ÉTRANGÈRE.

tous. Aux optimistes de l’ancien régime philosophique, on peut redire aujourd’hui le mot de notre histoire : Sire, ce n’est point une émeute ; c’est une révolution.

La philosophie, du haut des cieux, ne tient, il est vrai, nul compte de ces changemens. Car rien n’égale son mépris pour les observations puisées dans l’étude des mœurs et de la société ; elle ne connaît, elle ne veut connaître que les livres ; hors de là, le monde finit pour elle. Cependant le sol se mine sous ses pas. Gauche et embarrassée lorsqu’elle veut sortir des bancs de l’école, quelle défense opposerait-elle aux coups de l’esprit populaire ? Chaque jour, le grand Goliath de l’abstraction est atteint au front par la pierre des bergers.

Au reste, si l’idéalisme allemand périt, c’est par sa faute. Nous avons assez long-temps loué ses grandes qualités, pour ne point être embarrassés ici de nous expliquer sur ses défauts. Le premier reproche qu’il faut lui adresser, est le manque complet de sympathie, de charité, ou plutôt d’humanité, par où cette orgueilleuse science est bien loin de la science superficielle du xviiie siècle. L’indifférence entre le bien et le mal, entre le juste et l’injuste, entre la liberté et la tyrannie, est une marque de faiblesse autant qu’une marque de force. On peut bien soutenir pendant quelques années ces théorèmes forcés ; mais tôt ou tard la conscience se réveille, et le bon sens du peuple fait justice, en un jour, des raisonnemens du sophiste. De cette indifférence, il est résulté que les questions les plus profondes ont surgi tout à coup sans que cette philosophie pût en fournir la moindre solution[1]. Quelle réponse donnerait-elle aux énigmes sociales qui travaillent aujourd’hui le monde ? Elle ignore même qu’elles aient été posées ; elle a vécu sans entrailles au milieu des convulsions de l’histoire contemporaine. Où est le zèle de prosélytisme qui agitait et menait les encyclopédistes ? La philosophie allemande ne connaît rien de sem-

  1. Cette question est mise en une pleine lumière par l’ouvrage qu’un écrivain remarquable à tant de titres, M. Barchou de Penhoën, vient de publier sur l’Histoire de la Philosophie allemande. La comparaison habilement ménagée que l’auteur établit entre les systèmes politiques et les systèmes métaphysiques éclaire également les uns et les autres. La métaphysique et la politique deviennent ainsi les personnifications visibles de l’Allemagne et de la France, et ces deux peuples s’expliquent mutuellement par leurs diversités mêmes.