Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
REVUE ÉTRANGÈRE.

teux pour les lettres ; c’est le mal entré dans le monde ; c’est le fléau qu’il reproche au Seigneur, lequel s’en repent assez lui-même. Que si, à tout hasard, vous y faites allusion, je vous avertis que cet homme de génie, d’un jugement si sain, si élevé, si calme, va entrer en une colère, dont vous n’aurez vu jusque-là aucun exemple ; pas une opinion qui ne soit immodérée, pas un mot qui ne soit injurieux. – « Molière, dites-vous ? Molière est plat. Bossuet est bourgeois ; Montesquieu déclame ; Corneille rabâche. Quant à Racine, il y a long-temps que sa place est marquée chez l’épicier. En trois mots comme en cent, voilà l’esthétique de la France. » Maintenant est-ce haine, violence, besoin de réaction ou esprit de parti, ou tout simplement difficulté de s’entendre ? ou bien encore tout cela à la fois ? qui pourrait le dire ?

Sur les questions politique, même divergence, et plus grande encore, s’il est possible. Le démagogue allemand resté pur, qui n’a point forfait à ses principes, doit haine et mort à la France. Du moins, cet Annibal l’a juré en classe sur l’autel d’Hamilcar. En conséquence, il prêche sa croisade contre ce pays d’enfer. La vérité est qu’il ne l’a jamais vu, qu’il ne le verra jamais, qu’il n’en connaît ni la langue, ni les mœurs, ni les plus simples usages. Mais il sait que cette langue est un aspic empoisonné, que ce peuple est le réceptacle de tous les vices sans aucune vertu ! Ce sont là ses principes. Le croyez-vous assez peu homme d’honneur pour en changer ? Malheureusement les temps sont durs, la pureté des doctrines s’altère ; il n’est qu’un trop grand nombre de faux frères, qui, ayant passé le Rhin et visité ce peuple, ont trouvé en lui quelques qualités approchantes de l’espèce humaine, et vont pervertissant ainsi les saines maximes. Le branle est donné, rien ne peut l’arrêter. Il ne reste qu’à se couvrir de cendre et à pleurer sur l’abomination entrée dans la Sion tudesque.

Ces utiles préjugés sont entretenus avec soin par la presse politique et littéraire. Les journaux allemands, auxquels ceux de France répondent rarement, s’exaltent dans leur solitude ; ils s’élèvent peu à peu contre tout ce qui appartient à la France, hommes, choses, mœurs, à un ton d’injures, d’obscénités, de rage cynique dont je n’aurais jamais cru capable le chaste idiome de Charlotte et de Marguerite. Les plus populaires poussent le plus loin ce monologue de fureur. Rappelez-vous Arlequin s’excitant, dans un