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de philosophes. Ce voyageur rentrerait chez lui, infailliblement persuadé qu’il vient de découvrir un peuple de sages, lequel a échappé par miracle aux tourmentes de l’esprit moderne. Comme il n’aurait vu extérieurement aucun signe de changement, il en conclurait que tout est demeuré en sa place, et que ce point seul reste fixe au sein des agitations tumultueuses de l’Europe. Il serait dans une grande erreur.

Une transformation profonde travaille aujourd’hui les peuples allemands. Cette révolution n’est point apparente et bruyante comme celles qui s’opèrent en France, en Angleterre ; mais il est aussi impossible de la nier, et elle va aboutir à des résultats semblables. Le vieux génie de l’Allemagne se décompose ; un esprit nouveau heurte à la porte comme un bélier. On n’a point à raconter des émeutes et des coups d’état sur la place publique, mais déjà des émeutes et des révoltes dans l’empire des idées et de la philosophie. La génération spiritualiste s’efface et disparaît. Un des glorieux lutteurs éprouvés dans les écoles me disait, il n’y pas long-temps : « L’idéalisme se meurt, je suis content de mourir aussi. » Ce mot résume tout le reste. Goëthe et Hegel sont allés rejoindre Lessing, Klopstock, Schiller, Kant, Fichte, Herder, ces héros de la renaissance allemande. L’époque des demi-dieux et des héros est passée. Que va apporter l’époque des hommes ?

La France et l’Allemagne, dans les jugemens qu’elles ont portés l’une sur l’autre, ne peuvent point prendre pour devise : Sans amour ou sans haine. Au contraire, l’engouement ou l’aversion les a tour à tour gouvernées. Quand, lasse du matérialisme du siècle dernier, la France a voulu y échapper, elle s’est jetée en suppliante entre les mains de l’Allemagne. Le besoin de se soustraire à son passé moqueur lui fit embrasser, sans nulle critique, toutes les doctrines tudesques que de rares communications apportèrent jusqu’à elle. À mesure qu’une théorie était abandonnée de l’autre côté du Rhin, elle commençait à ressusciter, puis à fleurir parmi nous ; et, en fait de système, nous n’adoptâmes le plus souvent rien que les morts. En sortant du scepticisme, les esprits, altérés comme dans le désert, s’abreuvèrent aux sources de l’Allemagne sans se demander si une eau pure jaillissait en effet de ces rochers, ou si un trompeur mirage ne nous leurrait pas d’une onde chimérique. Systèmes, hypothèses, croyances, traditions, poésie, tout fut admis