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DE LA PRÉSIDENCE AMÉRICAINE.

plein de ferveur, mais il a toujours quelque chose de rude, sinon de sauvage. Notre démocratie de 93 était inexorable envers ses ennemis ; elle épuisait contre les rois le vocabulaire des injures, quand elle ne les dépouillait pas. La démocratie américaine est exigeante, hautaine, impérieuse. Pour elle, il n’est pas de plus grand bonheur que de rêver qu’elle met le pied sur le cou des nations étrangères. Si la démocratie triomphe sur la terre, nous reviendrons au temps des vaincus traînés derrière le char des triomphateurs, et des nations enchaînées au pied des monumens. Le général Jackson porte en lui tous les instincts de la démocratie américaine. Il lui est fiancé comme le doge de Venise l’était à la mer. Il est fier des prodigieux développemens de son pays ; il ne manque jamais dans ses messages de citer l’unexampled prosperity et l’unparalleled energy du peuple de l’Union. La plus grande joie de son cœur est d’abaisser le principe monarchique et les anciennes puissances. Avant d’être président, deux fois il alla, à l’occasion de la Floride, insulter et frapper le vieux lion espagnol. Plus tard, par passe-temps, il s’est avisé de changer l’étiquette consacrée par l’usage à Washington, et de supprimer les égards dont les représentans des puissances européennes étaient l’objet[1]. Peu fait pour se contenter de la satisfaction d’humilier les potentats de l’Europe dans la personne de leurs ambassadeurs, en renversant les préséances, il en est venu à de formels défis. Dans cette nouvelle carrière, il a débuté par des menaces contre le Portugal, et a continué par des provocations contre les gouvernemens qui n’avaient pas réglé leurs comptes avec l’Union. Pour tout couronner, il a voulu contraindre la France à s’incliner devant sa démocratie, comme jadis les preux chevaliers envoyaient les paladins qu’ils avaient désarçonnés, mettre un genou en terre devant la dame de leurs pensées. Il m’est pénible d’avouer qu’en cela le général Jackson a fait ce qu’il a voulu. Nous avons été battus, et nous avons payé. Je n’adresse aucun reproche au général Jackson ; il a fait son métier de chef de démocratie. C’est nous qui, en tolérant ses sorties, n’avons pas fait le nôtre. C’est nous,

  1. On assure cependant que dans ces derniers temps, le général, sur la représentation de ses amis, a renoncé à cette guerre d’étiquette. On lui a représenté que ses prétentions, au lieu d’élever le peuple américain, le rabaissaient au niveau des Turcs, et il a eu le bon esprit de se rendre à ces remontrances.