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DE LA PRÉSIDENCE AMÉRICAINE.

Le courage du général, son haut désintéressement, son inébranlable fermeté, son patriotisme ardent et insatiable, lui avaient valu l’amitié de la multitude ; mais les hommes politiques avaient encore peu de considération pour sa personne. Il passait dans le monde des politicians pour un être indisciplinable, pour un brouillon dangereux. Le président Monroë et ses conseillers, qui n’osaient pas désavouer formellement le général, voulurent s’en débarrasser par une mission étrangère. Il fut question de l’envoyer ministre en France ; on assure que M. Jefferson, consulté à ce sujet par le président, lui dit que si son intention était d’avoir, avant trois mois, la guerre avec la France, il n’avait qu’à envoyer Jackson à Paris. Plus tard, on lui proposa la légation de Mexico, près de don Augustin Iturbide qui s’y était proclamé empereur. Jackson répondait qu’il ne voulait avoir aucun rapport avec les tyrans ; il resta donc aux États-Unis.

Il fut mis en scène à l’occasion des coups d’autorité par lesquels il avait signalé ses campagnes. Plusieurs membres du congrès les dénoncèrent hautement comme des monstruosités. L’envahissement de la Floride ; l’exécution d’Ambrister et d’Arbuthnot, au mépris des lois et des arrêts du conseil de guerre qui avait fait grace au moins à l’un des deux ; les barbaries contre les Indiens qu’il avait pendus aux arbres ou exécutés de sang-froid, occupèrent le congrès durant de longues et orageuses séances, à la session de 1818-19. Alors commença la rivalité du général et de M. Clay. Ce dernier, citoyen grand et pur, fut consterné de l’indulgence qu’avaient rencontrée, presque partout, les procédés sommaires du général Jackson. Il crut voir dans cette indifférence du public pour la cause des lois un symptôme funeste pour la liberté américaine. Il appuya donc des résolutions soumises au vote de la chambre des représentans, dont il était membre, qui avaient pour objet la censure du général en Floride. Il demanda qu’une réprobation formelle avertît à l’avenir les chefs militaires qu’on ne jouait pas impunément avec les lois. « Gardons-nous, dit-il, dans notre jeune république, gardons-nous de sanctionner un cas flagrant d’insubordination militaire. Souvenons-nous que la Grèce eut son Alexandre, Rome son César, l’Angleterre Cromwell, et la France Bonaparte. Si nous voulons éviter l’écueil contre lequel sont venues se briser les libertés de ces puissantes nations, nous devons