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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

comme la pitié, semble se retirer de la glorieuse nation dont l’imposante physionomie se dérobe aujourd’hui sous le voile de ses humiliations et de ses douleurs.

Si l’on suit, en effet, avec l’attention désintéressée que les passions n’accordent guère aux événemens contemporains, l’histoire de l’Espagne depuis le commencement du siècle, on la verra d’abord dominée par les sympathies françaises qu’arrêta violemment la guerre de 1808, puis conduite par l’effet d’une position mal appréciée, autant que par l’inexpérience de ses représentans, à proclamer des principes inapplicables. On comprendra dès lors le concours momentané prêté par l’opinion populaire à la réaction de 1814, qui, manquant elle-même son but, amena le mouvement de 1820. Les premières cortès livrées à elles-mêmes se fussent alors trouvées dans une situation très favorable pour réaliser le bien qu’on en attendit d’abord ; mais elles avaient malheureusement en face d’elles un prince auquel la crainte arrachait des sermens d’autant plus faciles qu’il n’aspirait qu’à les violer. Ne pouvant se confier à sa foi, les cortès abusèrent trop souvent du dangereux moyen auquel le monarque ne savait pas résister. L’effet de cette lutte continue aggrava vite la position au point de rendre l’intervention nécessaire pour la France, ardemment désirée par l’Espagne ; elle y fut accueillie d’enthousiasme, peut-être par cet instinct qui révèle à la Péninsule que son salut viendra d’au-delà des Pyrénées, et qu’en tout temps, soit que la France exerce sur elle la pacifique influence de ses idées, soit qu’elle franchisse à main armée le rempart qui les sépare, l’Espagne devra s’écrier aussi en la voyant : Salus ex inimicis nostris. L’occupation fut mieux comprise dans ce pays qu’en France même, où un parti puissant alors altéra son véritable caractère, qui devait être une médiation armée entre les partis et le pouvoir ; aussi le gouvernement de Ferdinand VII, livré à lui-même, s’avança-t-il d’oscillations en oscillations jusqu’à la crise de 1833.

À cette époque, une ère nouvelle et plus heureuse sembla s’ouvrir pour ce royaume. Le système de M. de Zea, appuyé sur le parti des afrancesados, ne pouvait être, il est vrai, un but définitif, et le principal tort de ce ministre fut d’avoir paru le croire ; mais c’était un terrain sur lequel il fallait marcher dix années au moins avant de le dépasser. Malheureusement pour le pays, l’établissement de ce régime d’améliorations et de lumières pratiques, auquel il semblait donné de faire tant de bien, et qui déchaîna tant de maux, coïncidait avec une querelle dynastique et le commencement d’une guerre civile. Les idées françaises avaient besoin, pour s’épanouir en Espagne, d’une atmosphère pacifique, et elles se développaient dans la tempête ; aussi ceux qui s’y rattachèrent furent-ils brisés tour à tour, non que la liberté modérée ait cessé d’être le vœu