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cation terminée, comme ici les meilleurs élèves de Westpoint. Ils embrasseront la carrière industrielle, à moins que l’état ne se décide à les traiter mieux pour les retenir près de lui.

Ces idées de parcimonie sont nées chez nous au sein d’une réaction contre le principe d’autorité, réaction qu’avaient légitimée les fautes des dépositaires du pouvoir. Puisque ceux-ci affectaient de croire que les peuples avaient été créés tout exprès pour leur fournir la matière gouvernable et taillable, le public a eu raison de les traiter à son tour comme des excroissances parasites. Tout ce qu’il leur retranchait était autant de pris sur l’ennemi. La condition actuelle des fonctionnaires, sous le rapport matériel comme sous le rapport moral, est donc l’un des effets d’une crise révolutionnaire qui, je le crois, touche à son terme. Lorsque la société aura repris sa marche régulière, lorsque les gouvernans auront prouvé qu’ils sont dignes d’être à la tête des peuples, les gouvernés leur rendront leur confiance, et mettront fin à leurs actes de représailles.

On pourrait croire que chez un peuple profondément absorbé dans les intérêts matériels, tel que celui-ci, les avares doivent abonder. Il n’en est rien. Il n’y a jamais de lésinerie chez l’homme du sud ; il y en a quelquefois encore chez l’Yankee ; mais nulle part, au midi ou au nord, on ne rencontre cette sordide avarice dont les exemples sont fréquens en Europe. L’Américain a une idée trop élevée de la dignité humaine pour consentir à se priver, lui et les siens, de ce confort qui adoucit les frottemens de la vie intérieure. Il respecte trop sa personne pour ne pas l’entourer d’un certain culte. Harpagon est un type qui n’existe pas aux États-Unis, et cependant Harpagon n’est pas à beaucoup près l’avare le plus misérablement crasseux qu’offre la société européenne. L’Américain est dévoré de la passion de la richesse, non parce qu’il trouve du plaisir à entasser des trésors, mais parce que la richesse est de la puissance, parce que c’est le levier avec lequel on maîtrise la nature.

Je dois aussi faire amende honorable aux Américains sur un point essentiel. J’ai dit que toute affaire était pour eux une affaire d’argent ; or, il y a une sorte d’affaire qui, pour nous, peuple à affections vives, peuple aimant, peuple généreux, a principalement ce caractère mercantile, et qui ne l’a point du tout pour eux : c’est le mariage. Nous achetons notre femme avec notre fortune,