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base des monarchies soit l’honneur, et que l’on organise tout sur ce principe immatériel, rien de mieux ! Quoique la raison ne soit pas dans l’absolu, et que tout ce qui est absolu soit éminemment imparfait et transitoire, le principe absolu de l’honneur vaut, sous tous les rapports, en logique, en morale, en pratique, le principe absolu de l’argent. Il s’harmonise beaucoup mieux avec notre généreuse nature française ; mais il faudrait que l’honneur fût réel, que la considération fût incontestée. Il faudrait que le pouvoir, qui en est le distributeur, fût honoré et considéré lui-même.

Si l’autorité suprême est vilipendée, honnie, les fonctions publiques sont un titre, non au respect, mais à l’insulte. Si la défiance envers le pouvoir est admise en principe, si elle est consacrée par les habitudes modernes de législation et d’administration, n’est-il pas vrai que vos prétendus salaires en considération sont dérisoires, et que votre système repose sur un gros contre-sens ? Ah ! si la royauté trônait encore, toute-puissante, dans la magnificence de Versailles, parmi son armée de gardes étincelans d’or et d’acier, au milieu de la plus brillante cour dont l’histoire ait consacré le souvenir, entourée du prestige des arts empressés à l’adorer ; ou si le prince, sauveur de la patrie, mis sur le pavois par la victoire, datait encore ses décrets au monde du palais des rois ses vassaux, ou du Schœnbrunn des Césars terrassés ; s’il faisait et défaisait les rois comme aujourd’hui un ministre les sous-préfets ; si, sur un mot de sa bouche, les vieux soldats marchaient fièrement à la mort ; si la terre s’inclinait devant lui, s’il était l’oint du Seigneur, l’élu et l’idole du peuple ; ah ! si vous aviez encore la monarchie de Louis XIV ou de Napoléon, vous seriez bien venus à parler de considération et d’honneur ! Être signalé par un geste royal était alors une distinction éminente. La faveur du prince attirait alors la confiance ou les hommages extérieurs des populations. Les préséances étaient dignes d’envie du temps des pompes de Versailles, ou lorsqu’aux Tuileries l’on était exposé à se perdre dans un embarras de rois. Que signifient-elles, qui peut s’en soucier aujourd’hui que la vie du prince a été noyée dans le prosaïsme universel, aujourd’hui que les cérémonies publiques sont abolies, aujourd’hui qu’il n’y a plus de cour, plus de costumes ? Les titres ont été profanés par l’impéritie et la sottise de ceux qui avaient à en soutenir l’éclat, ou ternis par le venin d’une jalousie bourgeoise. Vos cor-