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LETTRES SUR L’AMÉRIQUE.

la fleur de nos campagnes et de nos ateliers, de jeunes cultivateurs ou de robustes ouvriers, comme ceux qui, le mousquet à la main, font la gloire de nos armées : ceux-là auraient la force et la volonté de s’emparer du sol, comme s’en empare la civilisation, par la culture et le travail. Nos honnêtes campagnards et nos ouvriers intelligens sont sourds à l’appel des compagnies ; ils ont de bonnes raisons pour ne pas croire aux promesses des spéculateurs. Ils ne se déplaceront, pour aller asseoir avec eux la domination française sur le sol de l’Afrique, que lorsqu’un gouvernement éclairé les y appellera non vaguement, mais nominativement, les y conduira et les y installera lui-même.

Tous les ans, deux milliers environ de soldats quittent la régence (car c’est encore la régence !) pour rentrer dans leurs foyers et redevenir ouvriers et paysans. Quelle fortune ne serait-ce pas pour Alger, si l’on pouvait les y retenir, ou s’ils voulaient y retourner, après être venus en France prendre femme ! Avec l’ambition d’arriver à la propriété dont tout homme est possédé aujourd’hui, il ne serait pas impossible de les y résoudre en leur donnant des terres, des outils, des maisonnettes, que l’armée aurait bâties elle-même. Distribués dans de grandes fermes ou dans des villages, autour desquels chacun d’eux aurait son champ, et qu’au besoin protégerait l’inexpugnable blockhaus, ils formeraient un noyau que la population française irait bientôt grossir, et dont l’existence enhardirait les compagnies à tenter enfin des entreprises sérieuses. Si on leur laissait leur fusil et leur uniforme, ils constitueraient une milice aguerrie qui ne craindrait pas les Bédouins, et que les Bédouins redouteraient. Qui pourrait trouver mauvais qu’Alger, conquis par notre armée, en devînt le patrimoine ? Nos soldats ont payé Alger au même prix que les premiers settlers américains ont acheté l’Ouest, c’est-à-dire de leur sang.

II

L’ARGENT.

Sunbury (Pensylvanie) 31 juillet 1835.

Dans une société vouée à produire et à trafiquer, l’argent doit être vu d’un autre œil que chez des peuples à l’esprit militaire ou nourris d’études classiques et de spéculations savantes. Chez ces