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veut servir son idolatrada patria, en qualité de colonel ou de général. Le dimanche, après la messe, il réunit dans un cabaret ses vingt soudards : là, après quelques libations, il prend un ton solennel, se pose en héros, et leur déclare : « que le gouvernement a violé tel ou tel article de la constitution ; que la liberté est menacée, ou que la sainte religion est attaquée ; qu’à eux est réservé l’honneur de défendre les glorieuses prérogatives de la nation, et qu’il les guidera dans cette noble entreprise. » Ceux-ci applaudissent l’orateur en criant : viva ! que viva ! Le verre à la main, ils lui jurent fidélité, et le proclament colonel ou général. On convoque el muy ilustre ajuntamiento, la très illustre municipalité, qui se compose ordinairement de trois ou quatre rancheros[1] ou vaqueros, qu’on fait entrer sans peine dans le complot. On a presque toujours sous la main quelque licencié, homme de plume, espèce de magister qui est chargé de rédiger en style intelligible, le plan, c’est-à-dire l’énoncé des motifs de la rébellion et son but ; puis, séance tenante, on adresse au peuple une proclamation qui commence à peu près en ces termes : « Peuples de l’univers civilisé ! soyez témoins de la justice de notre cause ! Nos plaintes ont retenti jusqu’à vous ; les droits du peuple souverain sont foulés aux pieds, notre sainte liberté attaquée ; vous verrez comme les vaillans enfans de Montézuma savent se soustraire à l’esclavage, etc. » Le peuple souverain qui lit ces belles choses, s’écrie : Carajo ! es verdad Vamos, carajo ! c’est la vérité, marchons ! Chacun alors ceint sa manchette[2] et monte à cheval. S’il se trouve dans les environs quelque chef de voleurs, il ne manque pas de venir, avec sa bande, offrir ses services, qui sont toujours acceptés ; on en fait un capitaine, ce qui lui donne l’avantage de piller impunément au nom de la patrie. On marche sur les villages voisins qu’on soulève, on ouvre les prisons, et les brigands et les assassins sont associés aux champions de la sainte cause. La renommée annonce le pronunciamento, de tous côtés arrivent en grand nombre les mécontens et les gens sans emploi ; alors les prononcés, au nombre de cinq à six cents, prennent le nom d’armée libératrice, répa-

  1. Rancheros, campagnards. Vaqueros, vachers.
  2. C’est une longue épée sur laquelle sont gravés ces mots pompeux : No me saques sin razon, no me envaines sinhi honor ; ne me tire pas sans raison, ne me rengaine pas sans honneur.