Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
REVUE DES DEUX MONDES.
CÉCILE.

Je vous avoue qu’ils ne me plaisent guère ; ceux que j’ai lus ne signifient rien. Il me semble que ce ne sont que des mensonges, et que tout s’y invente à plaisir. On n’y parle que de séductions, de ruses, d’intrigues, de mille choses impossibles. Il n’y a que les sites qui m’en plaisent ; j’en aime les paysages et non les tableaux. Tenez, par exemple, ce soir, quand j’ai reçu votre lettre et que j’ai vu qu’il s’agissait d’un rendez-vous dans le bois, c’est vrai que j’ai cédé à une envie d’y venir, qui tient bien un peu du roman. Mais c’est que j’y ai trouvé aussi un peu de réel à mon avantage. Si ma mère le sait, et elle le saura, vous comprenez qu’il faut qu’on nous marie. Que votre oncle soit brouillé ou non avec elle, il faudra bien se raccommoder. J’étais honteuse d’être enfermée ; et, au fait, pourquoi l’ai-je été ? L’abbé est venu, j’ai fait la morte ; il m’a ouvert, et je me suis sauvée ; voilà ma ruse ; je vous la donne pour ce qu’elle vaut.

VALENTIN, à part.

Suis-je un renard pris à son piége, ou un fou qui revient à la raison ?

CÉCILE.

Eh bien ! vous ne me répondez pas. Est-ce que cette tristesse va durer toujours. ?

VALENTIN.

Vous me paraissez savante pour votre âge, et en même temps, aussi étourdie que moi, qui le suis comme le premier coup de matines.

CÉCILE.

Pour étourdie, j’en dois convenir ici ; mais, mon ami, c’est que je vous aime. Vous le dirai-je ? je savais que vous m’aimiez, et ce n’est pas d’hier que je m’en doutais. Je ne vous ai vu que trois fois à ce bal, mais j’ai du cœur, et je m’en souviens. Vous avez valsé avec mademoiselle de Gesvres, et en passant contre la porte, son épingle à l’italienne a rencontré le panneau, et ses cheveux se sont déroulés sur elle. Vous en souvenez-vous maintenant ? Ingrat ! Le premier mot de votre lettre disait que vous vous en souveniez. Aussi comme le cœur m’a battu ! Tenez ; croyez-moi, c’est là ce qui prouve qu’on aime, et c’est pour cela que je suis ici.

VALENTIN, à part.

Ou j’ai sous le bras le plus rusé démon que l’enfer ait jamais vomi, ou la voix qui me parle est celle d’un ange, et elle m’ouvre le chemin des cieux.

CÉCILE.

Pour savante, c’est une autre affaire ; mais je veux répondre, puisque vous ne dites rien. Voyons, savez-vous ce que c’est que cela ?