Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/772

Cette page a été validée par deux contributeurs.
768
REVUE DES DEUX MONDES.

royal, vieille théorie fripée qu’ils croyaient pouvoir rajuster à la taille de l’Espagne. Mais si ce ministère de transition avait fait une loi représentative d’imitation anglaise, ce fut à la France qu’il emprunta son système de gouvernement. Partant de la monarchie, n’ayant point la liberté pour but, et n’appelant celle-ci que pour donner à l’autre aide et assistance, il a dû imiter la politique dont il recevait l’exemple et les conseils, celle du juste-milieu. Ici son erreur a été grande, et sa faute impardonnable. En Espagne, tout répugne au juste-milieu. Non-seulement il ne peut s’accommoder au caractère passionné des habitans, qui ne connaissent aucune transaction entre les idées extrêmes, mais il n’est ni dans la division des classes, ni dans la nature des intérêts matériels, ni enfin dans les souvenirs et les habitudes du pays.

La classe moyenne, succédant en richesses, en importance et en prétentions aux anciennes classes privilégiées, n’existe pas encore en Espagne. À peine commence-t-elle à se former dans les grandes villes, non point dans un état intermédiaire et tenant la balance entre les autres, mais guidant la masse dont elle fait toujours partie. L’Espagne en 1834, comme la France en 1789, ne se divisait qu’en deux parties : d’un côté, les classes à priviléges, à savoir, le clergé, qui ne vivait que de ceux qu’il s’était successivement arrogés, et la noblesse prête à faire bon marché des siens ; de l’autre, le peuple encore immobile, encore inaperçu, ayant partout à sa tête la bourgeoisie instruite et indépendante qu’il laissait agir en son nom.

Les intérêts ne sont pas moins que les classes antipathiques à tout accommodement. Si le clergé, emporté déjà aux premiers coups de l’orage populaire, s’obstinait encore à garder ses biens de main-morte, ses dîmes, ses exemptions des charges de l’état, la noblesse, au contraire, consentait volontiers à rentrer dans le droit commun pour affranchir ses biens-fonds des entraves féodales qui la gênent, qui la ruinent, et partout le peuple, ainsi que la bourgeoisie, voulait la division des terres et l’égale répartition des charges publiques. D’ailleurs, l’Espagne, pays de production et de consommation intérieures, peu industriel, peu commerçant, ne connaît pas tous ces intérêts de richesse fictive, qui, chez des nations comme la France ou l’Angleterre, ont be-