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JEAN-SÉBASTIEN.

Lünebourg à Weimar ; mais une chose certaine, c’est qu’en 1703 il s’y trouvait comme musicien de la cour. L’année suivante, il changea cette place contre celle d’organiste à la nouvelle église d’Arnstadt, sans doute afin de se livrer tout entier à l’étude de l’orgue, ce qu’il ne pouvait faire à Weimar, où il était engagé comme violon. Grâce aux petits revenus de sa place, il fut dès-lors en état de se procurer les œuvres des grands maîtres de ce temps.

Ainsi, partagé entre les devoirs de sa charge et ses travaux particuliers, Sébastien était heureux ; le matin, il feuilletait ses volumes de contrepoint, passait en revue tout ce qu’on avait écrit avant lui sur la fugue, ou lisait avec amour et recueillement quelque belle composition de Buxtehude ; puis, il se levait, brossait avec grand soin son habit vert, qui lui servait aussi les jours de fête, et se rendait à son orgue dans la nouvelle église d’Arnstadt. Après la théorie venait la pratique ; après avoir rempli sa tête de science, le jeune maître venait exercer son esprit et ses doigts aux fatigues de l’improvisation. Enfermé dans son église, Sébastien commençait la séance par quelque fugue de Fischer ou de Böhm, et souvent après cet âpre et sévère exercice, il sentait le besoin de s’abandonner à sa fantaisie, ainsi qu’un jeune aiglon au caprice de son aile. Alors ses doigts se posaient et couraient quelque temps incertains sur le clavier ; puis ils entamaient bientôt un motif improvisé, ou des variations sur un de ces airs francs et naïfs comme en chantaient autrefois Frosch et Bander dans la taverne d’Auerbach à Leipzig. Quand l’horloge sonnait cinq heures, le maître se levait et traversait lentement la ville pour retourner à sa chambre d’études. — Ah ! vieux docteur Faust, qu’aurais-tu dit si, après une de ces nuits où tes cheveux blanchis tombaient de ton front sur les parchemins cabalistiques, en ouvrant ta fenêtre par un beau matin de printemps, tu avais vu passer la figure calme et sereine d’Albert Dürer ou de Jean-Sébastien ? Oh ! comme tes yeux arides auraient encore trouvé des larmes en face d’une telle béatitude ; comme tes mains se seraient levées au ciel ; comme tu te serais écrié de toutes tes forces : « Que font-ils donc ces hommes pour être si heureux ? » Peut-être une voix t’eût répondu : « Ces hommes n’ont pas lutté contre le flot des siècles ; ils se laissent aller au courant qui les emporte, tandis que toi tu es monté sur un rocher, croyant escalader le ciel, et maintenant voilà que le dernier échelon te manque ; tu as voulu créer