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De 1831 à l’année suivante, voyant le genre historique discrédité, et le romantisme toujours en vie, nous pensâmes que c’était le genre intime, dont on parlait fort. Mais quelque peine que nous ayons prise, nous n’avons jamais pu découvrir ce que c’était que le genre intime. Les romans intimes sont tout comme les autres ; ils ont deux vol.  in-8o, beaucoup de blanc ; il y est question d’adultères, de marasme, de suicides, avec force archaïsmes et néologismes ; ils ont une couverture jaune, et ils coûtent 15 fr. ; nous n’y avons trouvé aucun autre signe particulier qui les distinguât.

De 1832 à 1833, il nous vint à l’esprit que le romantisme pouvait être un système de philosophie et d’économie politique. En effet, les écrivains affectaient alors dans leurs préfaces (que nous n’avons jamais cessé de lire avant tout, comme le plus important) de parler de l’avenir, du progrès social, de l’humanité et de la civilisation ; mais nous avons pensé que c’était la révolution de juillet qui était cause de cette mode, et d’ailleurs, il n’est pas possible de croire qu’il soit nouveau d’être républicain. On a dit que Jésus-Christ l’était ; j’en doute, car il voulait se faire roi de Jérusalem ; mais depuis que le monde existe, il est certain que quiconque n’a que deux sous et en voit quatre à son voisin, ou une jolie femme, désire les lui prendre, et doit conséquemment dans ce but parler d’égalité, de liberté, des droits de l’homme, etc., etc.

De 1833 à 1834, nous crûmes que le romantisme consistait à ne pas se raser, et à porter des gilets à larges revers, très empesés. L’année suivante, nous crûmes que c’était de refuser de monter la garde. L’année d’après, nous ne crûmes rien, Cotonet ayant fait un petit voyage pour une succession dans le Midi, et me trouvant moi-même très occupé à faire réparer une grange que les grandes pluies m’avaient endommagée.

Maintenant, monsieur, j’arrive au résultat définitif de ces trop longues incertitudes. Un jour que nous nous promenions (c’était toujours sur le jeu de boule), nous nous souvînmes de ce flandrin qui, le premier, en 1824, avait porté le trouble dans notre esprit, et par suite dans toute la ville. Nous fûmes le voir, décidés cette fois à l’interroger lui-même, et à trancher le nœud gordien. Nous le trouvâmes en bonnet de nuit, fort triste, et mangeant une omelette. Il se disait dégoûté de la vie et blasé sur l’amour ; comme nous étions au mois de janvier, nous pensâmes que c’était