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fonds espagnols qui nous démangent terriblement. Mais mieux qu’un autre vous comprendrez sans doute toute la douceur que deux ames bien nées trouvent à s’occuper des beaux-arts, qui font le charme de la vie au milieu des tourmentes sociales ; nous ne sommes point Béotiens, monsieur, vous le voyez par ces paroles.

Pour que vous goûtiez notre remarque, simple en apparence, mais qui nous a coûté douze ans de réflexions, il faut que vous nous permettiez de vous raconter posément et graduellement de quelle manière elle nous est venue. Bien que les lettres soient maintenant avilies, il fut un temps, monsieur, où elles florissaient ; il fut un temps où l’on lisait les livres ; et dans nos théâtres, naguère encore, il fut un temps où l’on sifflait. C’était, si notre mémoire est bonne, de 1824 à 1829 ; le roi d’alors, le clergé aidant, se préparait à renverser la charte, et à priver le peuple de ses droits ; et vous n’êtes pas sans vous souvenir qu’à cette époque il a été grandement question d’une méthode toute nouvelle qu’on venait d’inventer pour faire des pièces de théâtre, des romans et même des sonnets. On s’en est fort occupé ici ; mais nous n’avons jamais pu apprendre clairement, ni mon ami Cotonet ni moi, ce que c’était que le romantisme, et cependant nous avons beaucoup lu, notamment des préfaces, car nous ne sommes pas de Falaise, nous savons bien que c’est le principal, et que le reste n’est que pour enfler la chose ; mais il ne faut pas anticiper.

À vous dire vrai, dans ce pays-ci, on est badaud jusqu’aux oreilles, et, sans compter le tapage des journaux, nous sommes bien aises de jaser sur les quatre ou cinq heures. Nous avons dans la rue Marchande un gros cabinet de lecture, où il nous vient des cloyères de livres ; deux sous le volume, c’est comme partout, et il n’y aurait pas à se plaindre, si les portières se lavaient les mains ; mais depuis qu’il n’y a plus de loterie, elles dévorent les romans, que Dieu leur pardonne ! c’est à ne savoir par où y toucher. Mais peu importe ; nous autres Français, nous ne regardons pas à la marge ; en Angleterre, les gens qui sont propres aiment à lire dans des livres propres ; en France, on lit à la gamelle ; c’est notre manière d’encourager les arts. Nos petites-maîtresses ne souffriraient pas une mouche de crotte sur un bas qui n’a affaire qu’à leur pied ; mais elles ouvrent très délicatement de leur main blanche un volume banal qui sent la cuisine, et porte la marque du pouce de leur