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REVUE — CHRONIQUE.

tervalle, le conseil des sous-officiers se réunit, et décida que les portes seraient fermées immédiatement ; il prit aussi d’autres mesures pour empêcher l’exécution du projet de départ.

Cette situation ne pouvait durer ; il fallait désarmer la défiance des soldats ; il fallait sortir de leurs mains et donner à la révolution un chef qui en devînt responsable, au lieu de quelques sergens obscurs intéressés à prolonger le désordre. La reine forma donc, dans la journée du 14, un ministère constitutionnel sous la présidence de M. Calatrava ; l’état de siége de Madrid fut levé ; le général Seoane fut nommé capitaine-général de la Castille, en remplacement de Quesada, et Rodil appelé au commandement de la garde ; enfin, la constitution de 1812 devait être reconnue et proclamée loi fondamentale de l’Espagne jusqu’à la réunion des cortès qui pourraient la réviser.

Mendez Vigo revint à Madrid le 15 au matin avec ces décrets signés par la reine, et qui furent aussitôt publiés. Il y régnait depuis deux jours une grande agitation ; mais Quesada contenait encore le mouvement, quoique déjà moins sûr de la fidélité des troupes.

La publication des décrets de la reine ne laissait plus de prétexte aux fauteurs de désordre ; il ne restait qu’à jouir du triomphe de la constitution ; mais ce n’était pas le compte des chefs du mouvement ; il y avait maintenant des désirs de vengeance à satisfaire, une populace à enivrer pour la compromettre sans retour, pour décourager toute opposition, et effrayer par un terrible exemple. Avant la fin de la journée, une multitude en délire rapportait à Madrid les sanglans et informes débris du corps de Quesada. Soit mauvaise volonté, soit impuissance, les nouvelles autorités n’ont rien fait pour épargner une pareille souillure à la révolution qu’elles représentent.

Les deux reines sont arrivées le 17 au soir dans la capitale ; leur palais n’est pas à l’abri des visites tyranniques et des perquisitions insolentes. Ce sont des épreuves de tous les instans auxquelles l’ame la plus fortement trempée ne résisterait pas long-temps. Jusqu’ici la reine-régente a été personnellement respectée ; mais le sera-t-elle toujours ? et dans une pareille absence de force publique, sa vie, sa liberté, ne sont-elles pas à la merci d’un caporal ivre qui entraînerait dix soldats résolus à sa suite ?

Le seul acte du ministère Calatrava, qu’on dit fortement ébranlé, paraît avoir été, jusqu’à présent, la dissolution des cortès, qui venaient d’être élus. Cet acte était commandé par l’opinion triomphante ; une nouvelle assemblée, qui sera élue selon les formes établies par la constitution de 1812, se réunira dans deux mois.

Au reste, ni les armées ni la plupart des provinces n’avaient attendu les évènemens de Saint-Ildefonse pour proclamer la constitution de 1812, avec ou sans le concours des autorités civiles et militaires. Chose singulière ! Barcelonne est la dernière grande ville de l’Espagne qui se soit prononcée, et encore on assure que c’est malgré Mina. Cependant la constitution y a été proclamée deux jours avant que les décrets de la reine n’y fussent connus. Mais l’état de Barcelonne est fort bizarre : cette ville cumule la constitution de 1812 et la liberté illimitée qu’elle consacre, avec l’état de siége, la censure et une dictature militaire qui ne se gêne pas