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multe, on entendait aussi retentir des cris de muera, et des chansons patriotiques. La cavalerie était sous les armes et y resta toute la nuit, sans se joindre aux révoltés qui venaient l’insulter.

Au premier bruit de ce qui se passait, M. Villiers, ambassadeur d’Angleterre, et M. Bois-le-Comte, arrivé depuis deux jours à Saint-Ildefonse, se rendirent ensemble au palais ; mais tous leurs efforts pour pénétrer jusqu’à la reine furent inutiles. Les soldats, qui occupaient tous les abords, ne laissaient entrer personne ; la voix des officiers était méconnue, et les sous-officiers qui dirigeaient le mouvement voulaient que la reine demeurât privée de tout conseil, de tout appui. M. Villiers offrit alors de garantir le paiement de la solde arriérée dans les quarante-huit heures. Les troupes hésitèrent un instant, et elles auraient cédé si les secrètes influences qui les dominaient ne s’y fussent vivement opposées. On apporta du vin sur la place ; à l’ivresse de la révolte s’enjoignit bientôt une autre qui l’aggrava, et la reine, assiégée dans son palais, se vit forcée de capituler.

Une plus longue résistance pouvait avoir de funestes résultats ; la reine, que son courage n’avait pas abandonnée un instant, admit auprès d’elle une députation de douze soldats. Ces hommes lui demandèrent la constitution ; ils ne savaient pas ce que c’était ; mais là encore ils obéissaient aveuglément à une consigne. Ils se promettaient des merveilles de la constitution. Cette singulière discussion, conduite du côté de la reine avec sang-froid, du côté des soldats avec une certaine arrogance mêlée de protestations de dévouement, se prolongea quelque temps ; mais enfin, comme les soldats opposaient toujours aux meilleures raisons la brutale obstination de leur volonté, il fallut bien céder, et la reine signa un papier conçu en ces termes : La reine autorise le général San-Roman à laisser les soldats jurer la constitution jusqu’à la réunion des cortès. Les soldats célébrèrent leur victoire par des coups de fusil, des chants, des cris de joie, et une espèce de marche triomphale autour de la place du palais ; après quoi ils retournèrent à leurs quartiers, laissant la reine épuisée par une émotion long-temps contenue.

Cependant le ministère était encore maître de la capitale, où l’infortuné Quesada maintenait l’ordre par son énergie. Aussitôt qu’il eut appris les évènemens de la Granja, il résolut de faire revenir la reine à Madrid, et envoya le ministre de la guerre, Mendez Vigo, à Saint-Ildefonse, pour hâter son départ, et disposer les troupes à y consentir. Mendez Vigo arriva, le 14 au matin, à la résidence royale, y trouva la reine presque prisonnière, les précautions multipliées autour d’elle pour l’empêcher de fuir, et les soldats entretenus à dessein par les meneurs de la révolution dans une ivresse continuelle, qui ajoutait encore à leur exaltation, et les rendait moins accessibles que jamais aux conseils de leurs chefs. M. Bois-le-Comte et M. Villiers, qu’il alla trouver en arrivant, regardaient la tentative comme fort dangereuse, et ne croyaient pas qu’elle pût réussir. Néanmoins, le ministre essaya de pressentir les dispositions des troupes, qui d’abord ne parurent pas devoir mettre obstacle au départ de la reine, et on s’y prépara aussitôt. Mais, dans l’in-